Entre Emmanuel Macron et les seniors, le divorce est-il consommé ? Ce président si bien élu par les baby-boomers affronte aujourd’hui leur colère. La hausse de la CSG, la non revalorisation des pensions, ont mal préparé une réforme des retraites pourtant ambitieuse. Au-delà de l’addition des mesures techniques, quelle est l’idéologie à l’œuvre ? Une tribune signée Dominique BOULBES de Indépendance Royale.
Le Kennedy des gris
70 % des retraités ont voté pour Emmanuel Macron. L’homme est senior-compatible, passé directement à la case grand-père sans avoir été père, au look de gendre idéal, bourgeois sans être conservateur, bref, vieux jeune qui plaît aux jeunes vieux… Et qui avait mis au centre de son programme la mise à plat, non pas du, mais des, systèmes de retraites, avec un mot d’ordre répété à l’envie, l’intergénérationnel, comme étiquette « senior inside » de son positionnement.
Il y avait là, pour tous les professionnels de la Silver Économie, comme une forme de promesse. Ils souhaitaient depuis longtemps une société qui se préoccupe enfin de ses aînés de façon apaisée, qui aborde la grande transition démographique dans une dynamique positive : innover, créer des emplois, participer à un grand projet industriel.
Où en est-on ?
Rebattre les cartes
C’est peu de dire que le malentendu s’est installé rapidement. Le gouvernement a successivement augmenté la CSG de 1,7 % sur les retraites, puis plafonné la revalorisation de pensions à 0,3 % en 2019 et 2020, contre 2,3 % d’inflation prévue, entraînant une nouvelle baisse de pouvoir d’achat de 2 %.
Emmanuel Macron est resté fidèle à ses engagements antérieurs, exprimés dans les deux commissions dont il avait été rapporteur en 2007 et 2008, sur la libération de la croissance, présidée par Jacques Attali, et sur la question de l’équité inter générationnelle.
Tout était déjà dit sur les deux grandes idées qui sous-tendent ces mesures :
- D’abord, un axe idéologique constant du Président. Pour redistribuer, il faut produire, et pour produire, il faut libérer tout ce qui entrave la croissance. Il s’agit donc de favoriser le travail, l’action productive, la mobilité, le risque, au détriment de toute forme de statut ou de rente. Les retraités, par nature, doivent donc être mis à contribution, voici bien la logique des transferts opérés vers les actifs.
- Ensuite, une certaine vision de la solidarité entre les générations, en voulant compenser, d’une génération à une autre, les inégalités de situation. Les retraités actuels sont issus des 30 glorieuses et ont bénéficié du plein emploi, d’un rapport démographique favorable aux actifs et de l’augmentation de la dette publique, forme de transfert du futur vers le présent. Le temps serait venu pour eux de rendre aux jeunes ce qu’ils ont reçu.
La réforme des retraites, du passé faisons table rase
La réforme des retraites s’inscrit dans la logique de ces mesures, avec lesquelles elle forme un ensemble.
Le gouvernement veut sortir du cycle sans fin des réformes paramétriques précédentes, qui n’ont qu’ajusté à la marge les données de l’équation, âge minimum, valeur du point, nombre de trimestres nécessaires. Un seul régime universel sera mis en place, basé sur un système de points au lieu d’un décompte en trimestres, avec comme principe qu’un euro cotisé donnera les mêmes droits quel que soit le statut du cotisant.
Le système de points n’est pas qu’une mesure technique, bien au contraire. C’est la traduction du passage d’un droit acquis à un calcul conjoncturel, donc d’une rente à une opportunité. Le système antérieur permettait de connaître sa retraite et de projeter le reste de sa vie sur cette base. Le passage aux points revient au contraire à lier la retraite à une conjoncture économique ultérieure qui n’est pas encore connue.
Emmanuel Macron l’avait bien rappelé « la retraite n’est pas un droit auquel on a cotisé toute sa vie, la retraite est ce que les actifs payent pour les retraités ». Il a économiquement raison, mais il en néglige -et ses amis politiques avec- l’effet dévastateur auprès des seniors. Au-delà des justifications économiques, qui peuvent se discuter, mais qui existent, c’est toute une vision de la société qui opère un grand basculement.
Big bang chez les baby boomers
Tout ceci s’est en effet accompagné d’une symbolique désastreuse, au gré des déclarations des uns et des autres. Technocratiques, comme celle d’Éric Alauzet, rapporteur du budget de la Sécurité sociale « Les retraités d’aujourd’hui font partie d’une génération dorée ! Et s’ils ont travaillé toute leur vie, ça ne suffit pas comme argument». Ou maladroites, comme celle d’Aurore Bergé : « Nous pouvons légitimement demander un effort générationnel à ceux à qui on paye les retraites (…). C’est pour vos enfants et vos petits-enfants, pour accompagner des générations qui n’ont pas eu les mêmes chances que les leurs ».
Qu’est ce qui est en jeu ?
Notre pacte républicain tient aujourd’hui à peu de choses. Rares sont les sujets qui font encore consensus. L’aide due aux anciens en fait partie, quelle que soit la classe sociale, la religion, l’origine géographique. Nos parents se sont occupés de nous, nous devrons nous en occuper le moment venu ; nous touchons là aux fondements de ce qui est constitutif de notre humanité.
Les baby boomer ont à la fois libéré la société et construit le pays de l’après-guerre. Le niveau de vie d’un jeune de 20 ans aujourd’hui est infiniment supérieur à celui de ses parents et de ses grands-parents au même âge. Combien de seniors ont attendu longtemps avant d’avoir une salle de bains ? Ces choses-là s’oublient… La conjoncture a changé, les paramètres économiques doivent être gérés, et le gouvernement le fait avec un courage certain. Mais tout ceci ne doit pas se faire en stigmatisant toute une génération, en réduisant cette somme de travail à la simple saisie d’une bonne conjoncture, en disant en clair à toute une génération « Vous avez eu de la chance, rendez maintenant ! ».
Notre vie, si elle doit être gérée, n’est pas qu’une addition de rationalités empilées : c’est ce qu’interpelle notre façon de traiter les anciens. Ce qui se lit dans le « package senior » du président, c’est au fond l’achèvement de ce que sont nos sociétés, tendues vers le futur et oublieuses du passé. C’est aussi ce qui peut les détruire.
A PROPOS D’INDEPENDANCE ROYALE
Le groupe a été racheté à Paris par Dominique Boulbès il y a plus de 10 ans. Spécialisé dans la conception d’équipements de mobilité et d’autonomie des seniors, Indépendance Royale est également soutenue par le fonds d’investissement Dentressangle pour soutenir sa croissance externe.
Cet article a été publié par la Rédaction le