La troisième édition des rencontres scientifiques de la CNSA a rassemblé plus 650 personnes autour du thème des proches aidants. En France, 8,3 millions de personnes aident régulièrement un conjoint, un parent, un enfant, un frère ou une sœur en situation de handicap ou de perte d’autonomie à son domicile. En Europe, selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) présentés par Tim Muir, économiste à l’Organisation de coopération et de développement économiques, un adulte sur dix est un proche aidant (8% des adultes en Suède, 16% en Italie par exemple).
Comme le mentionnait Christophe Capuano, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Lumière Lyon 2, l’histoire de l’aide familiale évolue – déclin de la cohabitation intergénérationnelle à partir des années 1960, désinternement des malades chroniques mentaux dans les années 1970, création de l’allocation adultes handicapés, de la prestation spécifique dépendance et de l’allocation personnalisée d’autonomie… – et la prochaine étape doit être anticipée. Plusieurs chercheurs présents ont rappelé qu’avec le vieillissement de nos sociétés, le besoin d’aide informelle va augmenter. Il est donc nécessaire d’entamer rapidement de nouveaux travaux pour savoir si la fonction d’aidant restera la même et si les aidants seront suffisamment nombreux pour satisfaire le besoin. Comme le souligne Marie-Eve Joël, professeure en sciences économiques à l’université Paris Dauphine et présidente du conseil scientifique de la CNSA, des contradictions apparaissent déjà : « Les économies réalisées sur l’aide formelle grâce aux proches aidants se retrouveront dans les dépenses de santé des aidants. Et on ne peut pas, parallèlement, développer le travail des seniors et leur demander d’aider davantage leurs proches dépendants. ».
Ces journées ont permis de faire le point sur nos connaissances sur les multiples facettes du rôle d’aidant.
Le rôle d’aidant et la relation à l’autre
À la question « est-il naturel d’être aidant ? », Martyne-Isabel Forest, directrice des affaires juridiques du Réseau international francophone vulnérabilité et handicap, répond que « le plus sage est sans doute de dire oui et non », et peut-être même « de ne pas se poser la question de la sorte ». Elle suggère plutôt de considérer l’aidant comme partenaire, possédant des savoirs essentiels à la prise de décision ; ce que préconise également le Conseil de la CNSA depuis 2011.
Pour Hélène Davtian et Régine Scelles, psychologues cliniciennes, il existe deux enjeux dans la relation entre l’aidant et son aidé. Pour l’aidant, un enjeu de coexistence : « être à côté de son proche tout en restant soi-même, (…) être à ses côtés sans se sentir menacé et sans représenter une menace pour lui ». Pour la personne aidée, l’enjeu est que « la personne protégée fasse reconnaître ses compétences à exercer son libre arbitre concernant la nature des liens qu’elle souhaite entretenir avec son proche. » Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale à l’université Paris 13 évoque le care et une vision partenariale des relations entre celles et ceux qui prennent soins – familles ou salariés – et celles et ceux qui reçoivent le soin.
La conciliation avec la vie professionnelle
Compte tenu des tendances démographiques et économiques, de plus en plus de personnes auront à combiner travail et aide. Aurélie Damamme, maîtresse de conférence en sociologie à l’université Paris 8, explique même qu’une personne peut être amenée à fournir de l’aide à plusieurs périodes de sa vie (périodes discontinues, continues ou chevauchées) et à aider plusieurs proches.
Cette conciliation dépend du soutien apporté aux aidants, notamment dans le milieu professionnel. Robert Anderson, responsable de l’unité conditions et qualité de vie à Eurofund, a fait état des différentes initiatives constatées dans le secteur au niveau européen : réorganisation et flexibilité du temps de travail (temps partiel, restructuration des jours de travail et des modalités de congés), possibilité de prise de congés de longue durée ou en urgence, mise à disposition d’informations, conseil et orientation du salarié vers les services à contacter, promotion d’une attitude bienveillante entre collègues. Pour lui, l’Union européenne a un rôle à jouer dans la promotion de ces bonnes pratiques et dans la mise en œuvre de recherches permettant d’évaluer l’impact de ces actions. Il estime également que cela devrait être un sujet de discussion entre syndicats et employeurs afin d’aboutir à des accords collectifs.
Vers un meilleur suivi de la santé des aidants
De nombreuses études ont démontré les répercussions négatives de l’aide sur la santé de l’aidant : fatigue, état de stress chronique causé par la réalisation continue de tâches physiquement ou émotionnellement éprouvantes pouvant aller jusqu’au burn-out, non recours aux soins… Jean-François Buyck, médecin de santé publique, a nuancé quelque peu ces constats. Les résultats de la cohorte GAZEL indiquent que, lorsque l’aidant accompagne un proche encore peu dépendant, les effets sur sa santé peuvent être positifs. La satisfaction personnelle d’apporter de l’aide à un proche en difficulté couplée à une augmentation modérée de l’activité physique et à l’adoption d’un mode de vie plus sain sont alors bénéfiques à l’aidant.
Toutefois, ces situations restent marginales. C’est ainsi que la Haute Autorité de santé recommande une consultation médicale annuelle aux aidants de personnes ayant une maladie d’Alzheimer ou apparentée pour être attentif à leur état psychique et nutritionnel. Elle conseille de s’assurer que les aides mises en place pour son aidé correspondent aussi à ses besoins et préconise la proposition de solutions de répit. La Mutualité sociale agricole a présenté une action expérimentale similaire qui consiste à proposer aux aidants un atelier de sensibilisation au stress, une consultation médicale et un échange collectif sur les solutions de répit.
Les conditions de réussite des solutions d’entraide et de répit
Les présentations des intervenants enrichies des observations des acteurs locaux et des associations présents dans la salle ont mis en évidence le foisonnement des solutions existantes pour offrir du répit aux aidants, les sortir de leur isolement, les soutenir (plateformes de répit, accueil temporaire, villages répit famille…).
Les études nous enseignent que plusieurs conditions doivent être réunies pour que le soutien soit efficace :
- Il doit reposer sur de multiples services (être multidimensionnel), services qui doivent être adaptables et évolutifs en fonction du besoin.
- Il est nécessaire de reconnaître le rôle des aidants et de les impliquer dans le projet de vie de la personne qu’ils soutiennent.
- Les aidants hésitent parfois à recourir à tel ou tel dispositif, il est donc indispensable de travailler sur leurs craintes (échanger avec eux, visiter un accueil de jour…)
- L’ANESM recommande de former et de sensibiliser les professionnels au vécu des aidants; une recommandation que partagent également Franck Guichet, sociologue et Michel Naiditch, chercheur associé à l’Irdes.
À présent, souligne Hélène Villars, praticien hospitalier, « il est nécessaire d’évaluer le bénéfice de ce type d’action [de répit] sur la santé et la qualité de vie de la personne aidée et de son aidant, dans l’idée de faire évoluer les solutions apportées pour rester au plus proche des attentes de la dyade aidant/aidé. »
S’appuyer sur des aides techniques au quotidien
L’aide professionnelle est le premier contributeur au bien-être des aidants, mais d’autres mesures permettent d’agir en complément. C’est par exemple le cas des aides techniques qui peuvent lui faciliter le quotidien, être un élément de confort ou de sécurisation. Elles sont encore peu utilisées, souvent par manque d’information, par méconnaissance. Anne-Sophie Rigaud, chef de service à l’hôpital Broca, préconise de les faire connaître aux professionnels qui les prescriront ensuite aux personnes en perte d’autonomie et à leurs aidants. Mais pour Vincent Rialle, maître de conférences, il faut veiller à ce que la puissance technologique n’impose pas sa logique et ses exigences.
Des perspectives pour la CNSA
Ces journées ouvrent de nouvelles perspectives pour la CNSA qui a déjà financé et continue de soutenir des recherches, des formations et des actions d’aide aux aidants de personnes âgées et de personnes handicapées. Sans compter qu’au cours des prochains mois, elle mettra en œuvre les mesures prévues dans la loi d’adaptation de la société au vieillissement : information des personnes âgées et de leurs proches sur leurs droits et l’offre de services disponibles avec un portail d’information, élaboration d’un outil d’évaluation des besoins des aidants, contribution au financement du module répit des aidants dans l’allocation personnalisée d’autonomie, expérimentation d’une forme de « baluchonnage »… La CNSA sera éclairée pour ce faire par une étude qu’elle engage en cette fin d’année pour évaluer les différentes mesures de soutien aux aidants qu’elle a déjà cofinancées afin de mieux définir les futures actions.
En clôture des rencontres scientifiques, la directrice de la CNSA, Geneviève Gueydan, a souligné la qualité des témoignages, la richesse des échanges entre les participants et les intervenants, et a donné rendez-vous pour la 4e édition dans deux ans.
Cet article a été publié par la Rédaction le