SilverEco donne la parole à Franck Noat, managing partner d’Alantra, banque d’affaire spécialisée notamment dans l’immobilier et la santé. Fort de son expertise dans le domaine du conseil en fusions-acquisitions de taille moyenne, Franck Noat nous fait part de son analyse du marché des Ehpad en France par rapport au reste de l’Europe.
Quel avenir du marché des Ehpad en France et en Europe ? Qui sont les grands opérateurs du secteur ? Quelles sont leurs stratégies de développement ? Investisseurs publics et privés, comment se partagent-ils le marché ? Quelles spécificité du marché français ? On laisse Franck Noat nous répondre.
Quelles sont les dynamiques du marché des Ehpad en Europe ?
Le marché européen des services et de soins aux personnes âgées connaît une croissance structurellement forte et durable, tirée par le vieillissement de la population, l’allongement de l’espérance de vie, le développement de maladies chroniques, l’éloignement des familles et aussi l’existence d’un pouvoir d’achat significatif d’une partie des personnes âgées. A titre d’exemple, l’Europe devrait connaître un doublement du nombre de personnes âgées de plus de 80 ans à horizon 2050, offrant ainsi de fortes perspectives de croissance aux acteurs du secteur.
Dans tous les pays européens, ces tendances vont entraîner des investissements très significatifs avec notamment un besoin non seulement de créer de nouvelles places en maisons de retraite mais aussi d’entretenir et de rénover le parc existant (on parle de 15 à 40 milliards d’euros pour la France uniquement).
Le déficit de places disponibles, le renforcement des normes et des contrôles qualité, la médicalisation croissante tout comme la spécialisation des établissements nécessitent des investissements importants qui vont non seulement irriguer l’immobilier et les ventes d’équipement mais aussi et surtout demander d’étoffer les personnels des équipes soignantes*. Sur ce dernier point, les principaux acteurs vont devoir trouver des solutions à une pénurie annoncée de main d’œuvre en engageant de réelles mesures de rétention du personnel (salaire et conditions de travail notamment) et d’attraction/reconversion vers les métiers du « prendre soin ». Certains pays européens, dont l’Allemagne, savent d’ores et déjà que cela passera par une immigration de personnel soignant. Ce qui est sûr, c’est que le secteur au sens large (senior care et home care) devrait être un fantastique pourvoyeur d’emploi en Europe.
Plus pragmatiquement, les seniors représentent la catégorie de la population dont l’abstention est la plus faible aux élections locales et nationales… cet élément viendra sans doute alimenter la motivation des décideurs politiques à adopter une démarche proactive d’investissement dans ce secteur, ou tout du moins une bienveillance protectrice.
*Il s’agit d’une priorité du gouvernement qui prévoit « un plan d’investissement de 125 millions d’euros pour l’augmentation du nombre des personnels soignants en EHPAD et modernisation des établissements », si l’on en croit les vœux d’Agnès Buzyn à la presse le 22 janvier 2019.
Comment les opérateurs font-ils face à ces besoins d’investissement et qui va en tirer son épingle du jeu?
En raison des contraintes budgétaires des États européens, les acteurs publics et associatifs sont peu susceptibles d’obtenir le niveau suffisant de ressources pour engager ces investissements alors même que ces acteurs gèrent aujourd’hui la majorité des établissements (entre 60% et 90% des lits existants).
Les tendances de marché actuelles offrent donc de nombreuses opportunités aux opérateurs privés, disposant, eux, des plateformes opérationnelles et des capacités financières pour répondre à ces besoins. En tout cas, c’est un boulevard qui s’ouvre… à condition que les États prennent la mesure de leurs responsabilités budgétaires face à cet enjeu sociétal. En contrepartie, il sera normal d’attendre des opérateurs privés de maintenir une haute qualité de service et d’accompagnement des résidents.
Ces différents éléments entraînent-ils une consolidation du marché ?
Oui, absolument. Afin d’atteindre une taille critique et ainsi optimiser tant leur plateforme opérationnelle que l’accès au financement en capital et en dette de ces investissements, certains opérateurs privés ont naturellement mené des stratégies de consolidation des marchés domestiques. Les marchés domestiques européens restent néanmoins encore très fragmentés et les principaux opérateurs ont une part de marché assez limitée. Par exemple, les 3 premiers acteurs en Allemagne, en Angleterre, en Espagne et en Belgique ne représentent que 5% à 30% de leur marché privé national respectif. L’exception qui confirme la règle étant la France puisque les 3 premiers acteurs représentent plus de 50% de l’offre privée totale.
Les grands opérateurs se sont également engagés dans des stratégies d’internationalisation. Korian, Orpea, Colisée, DomusVi et Maisons de Famille, pour ne citer qu’eux, ont tous suivi des stratégies d’internationalisation, avec un double objectif de relais de croissance au-delà du marché français et de diversification des risques règlementaires et tarifaires. Les dernières années ont été marquées par une vague d’opérations transfrontalières, en complément d’opérations nationales structurantes. Par exemple récemment, l’acquisition de Dorea, 10ème groupe de maisons de retraite en Allemagne, par Groupe Maisons de Famille, l’acquisition du groupe espagnol Gerovida par DomusVi sans parler du rapprochement entre Colisée et Armonea qui vient bousculer le classement européen.
Au-delà des pays européens, certains opérateurs se développent également dans d’autres zones géographiques caractérisées par une offre insuffisante, un fort pouvoir d’achat et/ou un potentiel long terme, notamment en Amérique du Sud et plus anecdotiquement en Chine.
Vous disiez que le marché français est plus consolidé que d’autres marchés européens. Quelles opportunités de croissance se présentent-elles aux principaux acteurs français ?
Effectivement, la France réunit une grande partie des principaux acteurs européens du marché et c’est une grande fierté de le constater ! Plusieurs opérations de rapprochement ont eu lieu ces dernières années mais les opportunités de croissance externe existent toujours, même s’il reste peu de groupes français indépendants de taille significative. 2019 devrait être encore un bon cru avec des opérations Midcap mais aussi potentiellement des consolidations de taille très significative dans les tuyaux.
Par ailleurs, il apparaît clairement un développement/consolidation dans les marchés connexes comme les services d’aide à domicile (e.g. lancement de la marque Onela et du maintien à domicile par Colisée, acquisition récente de Petit-fils par Korian pour renforcer son offre de services à domicile), les résidences services seniors (e.g. Korian, Templitudes de DomusVi, etc.) et d’autres services complémentaires (e.g. reprise d’Ages & Vie, spécialiste de colocation pour seniors, par Korian). Ce développement sur ces segments de marché a pour objectif de proposer une offre de soins plus large, de capter une clientèle en amont afin de l’accompagner dans ses différents besoins de soins et d’accroître leur croissance organique.
Je suis persuadé que certains opérateurs vont aussi regarder attentivement les opportunités dans les soins primaires dans une logique de « parcours de santé ».
Cet article a été publié par la Rédaction le