Le second volet du rapport Libault sur la concertation grand âge et autonomie remis en mars dernier au gouvernement est on ne peut plus clair : la France dépense 30 milliards d’euros pour agir en faveur de la prise en charge de la dépendance. Une dépense qui va s’accroître avec le vieillissement de la génération baby boomer. D’ici 2024, ce budget devrait augmenter de 25%. Pour la même période, plus de 150 000 postes supplémentaires devront être créés dans les Ehpad.
Face à ces enjeux, certains parlent du miracle de la silver tech, de ses mille et une inventions et d’un avenir résolument digital pour le troisième âge. Aurions-nous trouvé dans la digitalisation de notre quotidien la réponse à ce défi ? L’optimisme est de mise. Les apôtres des silver technologies considèrent que le 3ème âge serait fondamentalement prêt à accueillir un ensemble de solutions high-tech conçues pour faciliter leur quotidien.
Silver économie : un enjeu technologique ?
Nos meilleurs entrepreneurs se sont dès lors engouffrés dans la brèche ouverte par les conséquences de cette explosion démographique. Startups, laboratoires, l’État s’y est même s’inscrit de plein pied avec de nombreux projets comme la création d’un Living Lab Santé et Autonomie en avril 2018.
Pour cette nouvelle génération de silver entrepreneurs, les arguments en faveur de cette transformation sont nombreux et avant tout économiques. Certes, nous devons l’acter, les nouvelles technologies développées pour le maintien à domicile des populations âgées permettent de réaliser des économies considérables. La machine coûte moins que l’homme, c’est un fait.
Le second argument clé des représentants de la silver économie est d’ordre factuel : les personnes âgées souhaitent, dans leur grande majorité, rester chez elles. Les Ehpad et institutions spécialisées véhiculent une image négative dans l’inconscient collectif, fausse croyance héritée d’une transformation des comportements au XXe siècle où l’on cesse de vieillir entouré des siens, en famille, chez soi.
Il ne faut pas jouer les troubles fêtes ni aller à contre courant de la dynamique actuelle. Elle est positive en ce qu’elle engage notre économie sur le territoire de l’innovation. Il faut cependant garder en mémoire un facteur qui se fait bien souvent trop discret : celui de l’humain. Au cœur de ces enjeux figurent des personnes, des individus. Or, nos ainés ne sont pas aussi technico-enthousiastes que nous.
L’humain avant tout
Le plus grand problème rencontré sur le terrain réside dans l’adoption de ces technologies. Il est possible de proposer à une personne âgée autant de solutions que l’on souhaite, celles-ci ne serviront à rien si elles ne sont pas adoptées par leurs utilisateurs. Or c’est un fait, de nombreux services conçus pour accompagner les personnes âgées finissent dans des placards et nombreuses sont les sociétés de la silver économie qui ne parviennent pas à percer.
La téléassistance et la télésanté sont emblématiques de ces questions d’adoption. L’accompagnement du troisième âge est plus complexe qu’il n’y paraît. Un simple call center ne peux faire office de centre d’assistance et d’alertes. À ce seuil intervient un facteur clé, celui de l’expertise de spécialistes qui savent identifier le niveau d’urgence et prendre les bonnes décisions. Un facteur humain qui n’entre pas toujours dans le champ de vision des silver optimistes.
Le graal de l’enjeu de la dépendance ne se trouve pas uniquement dans la production de technologies toujours plus performantes et « adaptées » aux besoins du troisième âge. Il est réducteur de ramener le défi du troisième âge à des technologies et délicat d’envisager cette question sous le seul jour des économies budgétaires que nous pourrions réaliser en recourant aux « bonnes » technologies.
Il est nécessaire que l’État, les acteurs de la santé, les institutionnels, les startups de la silver économie ainsi que les acteurs historiques du secteur de la dépendance collaborent ensemble. Il faut partager les expertises et engager des solutions pérennes. S’il n’est pas possible de porter en 2019 une position technico-sceptique, il faut cependant avoir le recul nécessaire pour regarder les choses telles qu’elles sont : nos seniors sont des individus.
Nous serons plus à même de les accompagner en gardant à l’esprit le facteur humain essentiel à leur accompagnement. Nous réussirons ce défi générationnel en allant chercher des expertises qui prendront en compte ce facteur. Sans quoi, nous risquons de créer de nombreuses technologies qui n’auront que peu d’impact.
Cet article a été publié par la Rédaction le