Au regard des enjeux démographiques et éthiques, il est indispensable d’imaginer, de développer et de soutenir de nouvelles solutions d’habitat, qui répondent au souhait des Français de vieillir à domicile dans un environnement familier et non-médicalisé. C’est dans cet esprit que la Fondation Mederic Alzheimer a confié au bureau d’études émiCité une étude dans 6 colocations Alzheimer.
Sortir de la dualité domicile/EHPAD
Si ce type de domicile existe depuis plus de 20 ans, il reste confidentiel. On estime à peine à 70 le nombre des colocations en France contre plus de 3 700 en Allemagne. Le domicile n’est pas toujours ce qu’il y a de plus adapté pour une personne vivant avec des troubles cognitifs, surtout quand la maladie progresse et qu’elle devient trop lourde à gérer pour les proches. En même temps, l’entrée en EHPAD est souvent envisagée comme « un dernier recours », dans l’urgence du fait d’une situation de crise, quand la vie à domicile n’est plus possible. Cela prive, alors, les personnes malades et leurs proches d’une réflexion sur leur projet d’habitat pour leur fin de vie, l’habitat étant un puissant levier pour garantir le respect de la volonté et de la dignité des personnes.
Alors que 2,2 millions de personnes vivront avec la maladie d’Alzheimer en 2050 , qu’il manque dès à présent 100 000 places en EHPAD, que 82 % des Français souhaitent vieillir à domicile, nous devons mettre en œuvre les solutions qui répondront à ces attentes et besoins. Aucune étude n’avait été menée sur les colocations à ce jour. Il était nécessaire de mieux comprendre ce dispositif en vue d’un éventuel essaimage.
Hélène Jacquemont, Présidente de la Fondation Médéric Alzheimer
Une colocation Alzheimer est un domicile
Ce type de logement fait partie du dispositif d’habitat inclusif en direction des personnes âgées et en situation de handicap. La colocation est considérée comme un domicile aux yeux de la loi et non comme un établissement médico-social.
Une colocation est donc une maison ou un appartement, composé d’espaces communs et de pièces privées. La colocation accueille en moyenne 8 habitants. Cette vie collective permet de mutualiser les coûts de la vie quotidienne (loyer, charges, courses….) mais aussi les aides humaines par la présence d’auxiliaires de vie 24h /24. Dans chaque colocation, une personne est en charge de la coordination et de l’animation de la vie partagée.
L’objectif n’était pas de réaliser une comparaison entre les différentes colocations, mais d’effectuer une exploration dans ces six habitats afin d’identifier les bonnes pratiques développées, les choix effectués, les difficultés ou les contraintes rencontrées, les leviers mobilisés pour inventer de nouvelles manières de vivre ensemble pour des personnes ayant des troubles cognitifs.
Franck Guichet, sociologue, directeur associé d’émiCité
Un impact observé mais non mesuré sur la qualité de vie
Par sa taille et la présence d’aide humaine permanente, la colocation a un impact sur la qualité de vie des colocataires. L’accompagnement repose sur la liberté et le respect du choix de chacun. Il permet de répondre aux attentes et besoins des uns et des autres et s’adapte en temps réel. Enfin, la participation à la vie collective, la mise en place de rituels, la volonté de « faire avec » plutôt que de « faire à la place de », permettent une vie quotidienne plus sereine où les crises et l’agressivité sont moins nombreuses. Il n’en demeure pas moins, que l’avancée de la maladie d’un habitant ou sa perte d’autonomie peut venir perturber cette vie collective.
Un accompagnement 24h/24
Les colocations voient émerger des métiers dont les contours restent à clarifier. Les auxiliaires de vie aux profils variés (aide-soignante, aide médico psychologique…) ont un exercice plus polyvalent de leur activité qu’en EHPAD ou à domicile, alternant les moments de soins avec les colocataires et ceux consacrés à la préparation des repas, à l’entretien de la maison ou à des activités (promenade, chant, danse, discussion, jardinage, etc.). L’amélioration de leurs conditions de travail et la reconnaissance de leur rôle essentiel au sein des colocations se traduisent par un faible « turn over ». Cependant, le manque de formation continue à la gestion des troubles cognitifs et à la maladie d’Alzheimer peut s’avérer problématique notamment quand la maladie progresse.
L’autre acteur clé de la colocation est le coordonnateur/animateur. En charge d’assurer le projet de vie partagée dans la colocation et du vivre ensemble il doit faire preuve d’une grande disponibilité et se trouve exposé quotidiennement à de multiples demandes. Il est au quotidien avec les auxiliaires de vie mais n’a avec elles aucun lien hiérarchique et la coordination des équipes n’est pas toujours évidente. La gestion du parcours de soin des habitants qui relève de la responsabilité des familles peut également avoir un impact sur son quotidien. L’absence de définition claire de ses missions est un frein. Au regard de son périmètre d’activités très large, un risque d’usure peut exister.
Les familles, pierre angulaire des colocations
Les familles des colocataires sont au cœur du dispositif. Leur implication est essentielle et importante. Elles participent à la vie quotidienne (sorties, bricolage, repas, …) et sont surtout en charge du parcours de soins de leur proche qu’elles doivent coordonner car les colocations n’assurent pas le suivi médical des habitants. L’absence de famille ou l’éloignement de celle-ci peut être un frein à l’entrée d’un proche dans une colocation.
Un modèle économique qui reste à trouver
Le dernier enseignement concerne le modèle économique des colocations qui reste fragile et à construire. Il n’y a pas de modèle type. Au regard du coût, la vie dans une colocation Alzheimer n’est pas accessible à toutes les personnes malades, car le reste à charge, comme pour l’EHPAD, est important. De plus, le principe de mutualisation des aides peut s’avérer pénalisant lorsqu’une place est vacante dans la colocation. Si le flou juridique devrait être levé sur certaines spécificités des colocations qui restent des domiciles et non pas des établissements médico-sociaux, il existe certaines disparités territoriales, comme le versement ou non de l’Aide à la Vie Partagée (AVP) par les départements qui fragilisent le modèle économique.
Il est donc important d’élargir les connaissances sur ce type de domicile. C’est pourquoi la Fondation, au travers de son Observatoire, a lancé début 2024, une étude quantitative auprès de toutes les colocations Alzheimer en France. Les résultats sont attendus à la fin du 1er trimestre 2024.
Méthodologie de l’enquête qualitative
Les équipes d’emiCité ont passé une journée et demie au sein de chacune des six colocations, afin de participer à la vie de la maison et de recueillir des informations sur le déroulement de la vie quotidienne. Ce temps passé au sein des habitats a été structuré autour de deux méthodes d’investigation :
- La réalisation d’observations participantes relatives à : la situation de l’habitat dans la ville ; la description de l’habitat ; les horaires de vie de façon générale (lever, toilette, etc.) ; la préparation et la prise des repas ; les déplacements à l’intérieur et à l’extérieur du domicile ; les activités réalisées ; les interactions dans les espaces communs et extérieurs ; les événements de la vie en colocation.
- La réalisation d’entretiens avec les habitants, les proches aidants, les intervenants, le coordinateur, les professionnels de santé ou les services médico-sociaux qui interviennent au sein de la colocation, les bénévoles, les étudiants, les services civiques, les autres partenaires et le porteur du projet. Au total, une dizaine d’entretiens ont été réalisés pour chaque colocation.
Qualité de vie des habitants, inclusion et lien social, rôle et place des familles, métiers de l’accompagnement, coordination du projet de vie partagée, modèle économique : autant de thématiques qui ont été étudiées dans les 6 colocations Alzheimer retenues pour l’étude. L’étude qualitative a pris la forme d’un rapport synthétique et de 6 monographies téléchargeables sur le site de la Fondation.
Découvrez le témoignage de Bernadette Paul-Cornu, co-dirigeant de Familles Solidaires qui a développé, en Alsace, une des colocations Alzheimer étudiées.
Cet article a été publié par la Rédaction le