Laure Cloarec Blanchard, Médecin Gériatre Référent Nutrition, et Johan Girard, Directeur de la Stratégie Organisationnelle chez Adef Résidences, nous proposent une tribune libre sur la thématique du plaisir et de l’alimentation en EHPAD, un sujet de controverse.
Pour parler de plaisir de manger, il faudrait déjà avoir le choix !
La dénutrition concerne près de 50% des résidents en EHPAD et est un problème majeur de santé publique entraînant une augmentation du niveau de dépendance, des risques de comorbidité et de mortalité et une diminution de la qualité de vie.
Les repas rythment la journée et représentent pour la plupart le dernier plaisir quotidien. Mais peut on véritablement parler de plaisir de la table en EHPAD chez une personne très âgée et dépendante ? Le plaisir de manger reste le même quel que soit le niveau de dépendance de la personne âgée. En revanche, la satisfaction, c’est-à-dire l’appréciation des repas, baisse avec la perte d’autonomie.
Pour parler de plaisir de manger, il faudrait déjà avoir le choix ! Choix du lieu (salle à manger ou chambre), choix de la place à table, choix des horaires, choix de prendre son temps, choix des plats, de la texture, du vin, de l’eau (plate ou pétillante)…
Comment concilier cette liberté de choix du résident avec des organisations de plus en plus contraintes par des budgets revus à la baisse, des horaires de moins en moins flexibles, un ratio soignants/résidents souvent insuffisant et des résidents de plus en plus dépendants ?
A l’heure où les projets personnalisés, la bientraitance et l’éthique sont des sujets quotidiens en EHPAD, faisant l’objet de fréquentes formations, qu’en est-il de la personnalisation du repas ? Est-on véritablement en adéquation avec les valeurs prônées dans le monde médico-social ?
Consulter notre dossier : Dénutrition : une réelle nécessité d’agir vite
Parlons du dîner, si compliqué à gérer en EHPAD
L’équipe de jour est pressée de partir mais elle doit assurer le service à table, l’aide alimentaire, l’accompagnement en chambre des résidents et le coucher des plus dépendants. L’heure du dîner a donc tendance à « déraper » progressivement vers 18h30, 18h15 voir 18h00…. et le temps laissé pour consommer le dîner se réduit aussi progressivement car le nombre de résidents très dépendants est de plus en plus élevé.
Comment avoir envie de manger une soupe, un plat, un laitage et un dessert à 18h00 alors que vous venez de sortir du goûter, et que vous avez pris deux gorgées d’un complément alimentaire industriel qui vous a coupé l’appétit ! Entre-temps, vous avez eu la visite de votre fille « bien aimée » qui, pour se déculpabiliser, vous a donné plein de gâteaux sous prétexte que vous ne mangez rien et que la nourriture servie n’est pas bonne !
Le dîner arrive devant vous ; vous prenez la soupe, ne touchez presque pas au plat (cette grosse portion vous coupe l’appétit) et vous vous retrouvez avec un laitage choisi arbitrairement par une intérimaire (un yaourt à la fraise alors que vous vouliez du fromage). Donc vous laissez la moitié du yaourt. Vous auriez bien pris une pêche mais personne ne vous propose de vous aider à la peler et la couper donc vous prenez une banane… comme presque tous les jours (et malgré votre constipation chronique !). De toute façon, votre voisin qui a pris une pêche rouspète car la pêche est si dure qu’elle est impossible à manger.
Quel gâchis ! Gâchis de nourriture (37% des aliments servis ne sont pas consommés), gâchis de temps et d’énergie, gâchis d’argent et surtout gâchis des derniers moments précieux de la vie pouvant apporter du plaisir aux résidents !
Il est indispensable de se remettre en question et d’identifier des leviers d’amélioration
Pour adapter l’alimentation aux besoins nutritionnels spécifiques du sujet âgé, les menus proposés en EHPAD suivent les recommandations du GEMRCN avec des grammages souvent inadaptés.
A une époque où la lutte contre le gaspillage alimentaire est devenue une priorité nationale, il est donc indispensable de se questionner sur les raisons pour lesquelles les repas ne sont pas suffisamment consommés, et d’identifier les leviers d’amélioration.
La population des personnes âgées est hétérogène. Les résidents souvent très âgés (plus de 85 ans), dépendants, s’adaptant difficilement aux évolutions. La vie en EHPAD entraîne d’importantes modifications au niveau de l’alimentation.
Comment répondre à la problématique de chaque résident ?
L’environnement est un levier incontournable demandant un investissement de toutes les équipes : en effet, la satisfaction qui est retirée d’un repas et sa consommation dépendent à 80% de l’environnement (accueil, convivialité, jolie table, vaisselle, atmosphère, …) et seulement à 20% du contenu de l’assiette. Les autres pistes d’amélioration organisationnelle sont nombreuses : heure et durée des repas, aide alimentaire efficace, formation des équipes à la dénutrition, …).
Les leviers sensoriels sont aussi indispensables. Le vieillissement s’accompagne, en plus des problèmes de dentition, d’une diminution des capacités sensorielles touchant tous les sens en particulier le goût et l’odorat, amplifiée par la prise de certains médicaments. Les seuils de perception des saveurs et odeurs se trouvent modifiés. Il convient donc d’augmenter l’attrait des repas en optimisant le goût, l’arôme, la texture des aliments.
La mise à disposition sur la table de condiments (sel, poivre, aromates, herbes, rondelles de citron) permet d’augmenter la consommation. C’est un moyen de se réapproprier le repas, comme celui de refuser un plat.
Mais peut on réellement refuser le plat du jour et choisir une alternative qui séduit davantage ? Comment le fameux « jambon-purée » peut-il séduire ?
C’est hélas trop souvent la seule alternative proposée (cuisine trop éloignée de la salle à manger, temps et personnel insuffisants, coût supplémentaire,…). Une carte de remplacement variée doit cependant être proposée dans chaque établissement ; de nombreuses pistes d’amélioration existent à un coût maîtrisé (anticipation du nombre de résidents concernés, cuisine mobile en salle à manger, …).
Consulter notre dossier : Quelles solutions contre la dénutrition des personnes âgées ?
Des facteurs cognitifs se surajoutent aux facteurs sensoriels
Lors de la simple évocation du nom d’un plat, le sujet active les représentations en mémoire qui y sont associées (spécialité de sa région, souvenirs liés à la dégustation, émotions associées) ; c’est le phénomène de la « Madeleine de Proust ». Pour donner envie de manger, les menus doivent prendre en compte les préférences culinaires des personnes âgées : favoriser les recettes familières, la cuisine traditionnelle et régionale, travailler sur l’optimisation sensorielle des recettes en terme de « goût ».
Beaucoup de résidents se plaignent des quantités trop importantes servies (effet satiétogène). Déterminer le profil de mangeur (petit mangeur, gros mangeur, …) est une piste de plus en plus pertinente pour stimuler la consommation alimentaire. Elle permettra aux professionnels d’adapter les portions en fonction de chaque profil. Afin de couvrir les besoins nutritionnels, il faudra compenser la diminution de volume par une augmentation de la densité nutritionnelle des aliments servis.
Une autre piste consiste en une restructuration de la journée alimentaire : servir un petit déjeuner plus consistant (repas le plus consommé), concentrer les apports protéiques le matin, diminuer le volume servi au dîner (3 composantes au lieu de 5).
Recruter des cuisiniers formés à la restauration collective en EHPAD
La qualité gustative et nutritionnelle faisant souvent défaut, il est urgent de recruter des cuisiniers formés à la restauration collective en EHPAD et maîtrisant les textures, les régimes et l’alimentation enrichie (beaucoup trop de plats carencés en protéines).
Hors, il n’existe aujourd’hui aucune école hôtelière qui forme à la restauration collective (abordé uniquement dans le cadre d’un Master). La maîtrise des nouvelles techniques culinaires (cuisine moléculaire, cuisson basse température, cuisson sous vide…) devrait permettre de gagner du temps, de la qualité gustative, de diminuer les pertes tout en assurant une bonne couverture nutritionnelle.
L’utilisation de ces nouvelles techniques est essentielle pour redonner du plaisir aux résidents en texture modifiée trop souvent dénutris (utilisation d’agents de texture pour redonner une forme authentique, optimisation de la densité nutritionnelle…).
Nous sommes à un tournant historique de la nouvelle restauration en EHPAD
La démarche RSE et la lutte contre le gâchis alimentaire représentent une véritable opportunité pour obtenir une meilleure rentabilité, dégager des leviers financiers permettant d’améliorer la qualité gustative et nutritionnelle dans l’assiette mais aussi de donner du sens en fédérant les équipes autour d’un projet commun.
Il est aujourd’hui grand temps de replacer l’alimentation au cœur du projet personnalisé pour redonner du plaisir aux résidents et lutter contre la dénutrition tout en valorisant la place du cuisinier.
C’est en ce sens qu’Adef Résidences a créé sa filiale Restonis.
Personnalisation, formation et questionnement éthique pour les professionnels, innovation sur les textures et le goût, développement durable, renforcement des circuits courts et de la part de produits frais (80%) : ce sont les réponses d’ores et déjà apportées pour une transformation progressive des pratiques professionnelles.
Cette filiale trouve certains de ses objectifs dans le cadre d’une démarche nutritionnelle approfondie menée au cœur des Etablissements et guidée par la Direction de la stratégie organisationnelle en support de la direction d’exploitation.
Cet article a été publié par la Rédaction le
j’adore votre blog
Bonjour,
Qu appelez vous un petit mangeur en EHPAD ? Celui , qui toute sa vie, n a mangé que des petites quantités ou celui qui a ce jour , depuis plusieurs mois , mange des petites quantités ?
IDE ref nutrition en EHPAD