Une jeune designer qui s’intéresse au « design for old » ce n’est pas commun, et c’est bien pour cela que nous nous sommes intéressés au travail d’Eva Rielland que nous avons rencontré il y a plusieurs mois maintenant, et qui a accepté de rédiger cette tribune libre sur Gérontechnologie.net dans laquelle elle nous présente des « Objets d’un autre âge »…
Objets d’un autre âge – Eva Rielland (designer)
Tout comme une relation de complicité, le lien entre l’objet et son utilisateur ne peut débuter par une rupture et doit être amené progressivement. Il s’agit de mettre en confiance l’utilisateur, de lui faire sentir que le produit est conçu pour l’accompagner au quotidien. C’est le rôle du designer.
Au travers de ma pratique de designer, je cherche à démontrer que la prise en compte des déficiences peut être une valeur positive dans la création d’objet. Celle-ci peut être une source d’innovation et de création.
Le parti-pris du projet est de faciliter les relations intergénérationnelles en imaginant des outils de communications adaptés aux seniors.
Il s’agit de ne pas renforcer le cloisonnement entre les seniors et le reste de la population vis-à-vis des outils technologiques. Le design ne doit pas considérer le vieillissement uniquement à travers l’accessibilité pure. C’est dans cette pensée que s’engage ce projet de recherche.
Indéniablement, l’objet est un élément qui participe à la socialisation de l’individu.
Manipuler un objet, le maîtriser, procure la satisfaction de savoir le faire fonctionner. En somme, cela procure un certain plaisir, une certaine fierté : celle de savoir faire comme les autres, de réussir, de se sentir capable. En effet, savoir maitriser un outil participe à l’estime de soi.
Cette dimension du « savoir-faire » est extrêmement importante à prendre en compte, notamment lorsque l’on conçoit des objets dits d’ « assistance », comme les gérontechnologies.
Ainsi, il ne s’agit pas de s’adresser exclusivement à un public de seniors mais bien de s’engager dans un projet commun réunissant personnes âgées, adultes, jeunes enfants et adolescents. Le vieillissement, ainsi que les déficiences qui l’accompagnent, ne sont plus un manque à combler mais une richesse à dévoiler. Les valoriser permet d’engager un discours créateur de nouvelles typologies d’objets.
> Privilégier l’accessibilité à l’universalité
C’est un fait : plus un système est polyvalent, moins il est facile à utiliser.
Il est préférable de favoriser une meilleure expérience globale, en privilégiant la relation simple à l’objet.
Ainsi, le projet « Objets d’un autre âge » fonctionne comme un système d’objets.
Les fonctions de communications issues de l’univers des ordinateurs sont clairement séparées : écrire, voir, envoyer des images, imprimer. Chaque objet remplit une de ces fonctions. Il y a le cadre (servant à la conversation vidéo), la boîte aux lettres (permet d’échanger simplement des courriers électroniques), l’imprimante et pour finir, le support d’images (servant à exposer une image reçue par courrier électronique). La séparation nette de chacune de ces fonctions permet de faciliter la compréhension de l’objet.
> L’objet raconte sa fonction
L’utilisation d’un objet est un acte souvent intuitif. C’est-à-dire, qu’il ne fait pas forcement recours au raisonnement.
Dans « Objets d’un autre âge », chaque objet est imaginé à l’aide d’analogies formelles et gestuelles afin d’ancrer l’objet dans un répertoire de forme et d’usage connu. Ceci en permet une prise en main rapide.
> Maximiser le geste pour minimiser l’interface virtuelle.
L’utilisation de chaque objet passe par une interaction gestuelle forte qui minimise l’usage de l’interface graphique. Un geste évident pour chaque objet permet de ritualiser l’usage et favoriser sa compréhension : on comprend ce que l’on voit, ce que l’on peut ressentir.
>> Le Cadre est directement inspiré des cadres photos. D’un côté miroir et de l’autre écran avec caméra, il permet d’entrer en conversation vidéo avec ses proches d’un seul geste. En effet, pour lancer la conversation, il suffit de faire basculer le miroir du côté de l’écran. Ce geste très identifiable, permet, entre autres choses, de masquer d’un seul geste la caméra. Ainsi, on est sûr de ne pas être vu malgré soi.
>> La boîte aux lettres : Cet objet, inspiré de la forme d’une boîte aux lettres classique, permet de recevoir du courrier électronique. Il fonctionne donc par analogie formelle mais aussi gestuelle. En effet, pour prendre connaissance de son courrier, il faut retirer la «lettre» (ici une plaquette). Pour renvoyer un courrier, il faut «poster la lettre».
>> L’imprimante permet d’imprimer les documents reçus via la boîte aux lettres. Il suffit d’insérer la plaquette dans l’imprimante pour lancer une impression : un geste puis une action. L’esthétique de cet objet reprend la forme stylisée et représentative d’une imprimante courante. Cela permet d’identifier rapidement l’objet et son fonctionnement.
>> Le support d’images est un accessoire simple. Il permet d’utiliser la plaquette comme un cadre photo classique. Il permet aussi de maintenir la plaquette presque à la verticale afin de pouvoir interagir avec elle de façon plus ergonomique.
Ce projet fait l’objet d’un travail de recherche que je développe sur plusieurs types de produit.
Je suis intimement convaincue qu’en valorisant l’utilisateur au travers de ses spécificités, le designer réussira à établir une image positive de l’usage des gérontechnologies. Les objets d’assistance doivent pouvoir être valorisant : des objets de désir en somme.
Cet article a été publié par la Rédaction le