Nora BERRA : « La France vieillit ? Une chance pour notre pays »

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La Secrétaire d’Etat chargée de la Santé est intervenue à l’occasion du débat organisé par la Jeune Chambre Economique de Lyon « La France vieillit ? Une chance pour notre pays » le vendredi 22 avril.

L’occasion pour Nora BERRA de revenir sur son projet national « Vivre chez soi » mis en place alors qu’elle était Secrétaire d’Etat chargée des Aînés, les thèmes principaux que ce projet regroupait (prévention, technologies et services de l’autonomie…), et les objectifs qui étaient les siens dans le cadre de ce projet national. « Pour lutter contre la dépendance des aînés, il faut, en amont, avoir une vision économique globale axée non pas sur une économie de la dépendance, mais une véritable économie de l’autonomie. »

Le discours de Nora BERRA :

« Oui je crois, comme vous, que le vieillissement de la France est une chance. Mais cette chance, comme toute chance, c’est aussi un défi et je n’ai cessé de vouloir en faire prendre conscience aux Français quand j’étais Secrétaire d’Etat aux Aînés.

L’allongement constant de la durée de la vie (les Français gagnent un trimestre de vie supplémentaire chaque année), en France, en Europe, dans le monde, est l’acquis humain du 21ème siècle.
Vivre plus longtemps, c’est bien, mais il faut vivre plus longtemps, et mieux.

La première richesse, c’est que le vieillissement de notre société est une occasion de revisiter notre humanisme : respecter les personnes plus âgées, leur dignité, c’est améliorer l’inclusion sociale et le lien intergénérationnel.
Ces valeurs exigent de nous, acteurs politiques, économiques, ou sociaux, le sens du devoir et de l’intérêt général. C’est pourquoi nous devons avancer de manière parallèle sur plusieurs fronts : la valorisation des aînés actifs et de leur rôle dans la société, la prévention de la perte d’autonomie, le traitement de la dépendance.

Un changement de mentalité à concrétiser

  • Cesser définitivement ou progressivement une vie professionnelle, c’est désormais débuter une nouvelle vie active.
  • Il faut cesser de considérer qu’on est trop vieux à partir de 40 ans dans le monde de l’entreprise : c’est un gâchis humain et un gâchis économique.
  • De plus, la retraite n’est plus un synonyme d’inactivité programmée, de désengagement de la vie sociale. Bien au contraire, c’est une perspective heureuse, pour être plus à l’écoute des autres et de soi-même : davantage de pratiques artistiques, culturelles, socioculturelles permettent d’atteindre ce but.
  • De nombreux seniors sont également engagés dans la vie associative et dans la démocratie de proximité, celle de leur ville, de leur village, de leur quartier. Quand on sait que beaucoup d’associations à caractère social, culturel, sportif, vivent grâce au bénévolat, où sont engagés tant de seniors, on voit bien combien ceux-ci contribuent à cette république du bien commun à laquelle nous aspirons.
  • Ils représentent, pour une majorité de familles, le facteur d’unité de celle-ci, de mémoire, de solidarité entre les générations.
  • En contribuant à consolider la famille, foyer d’amour, d’éducation, de continuité des cultures, de transmission des valeurs, les aînés consolident un des piliers majeurs de notre société.
  • Il faut donc changer notre regard sur la vieillesse, et aussi celui que nous portons sur notre propre vieillissement.

Le pouvoir économique des aînés : Une réalité favorable à l’ensemble des Français

  • Les seniors ont une épargne plus importante que les générations plus jeunes.
  • L’éducation des enfants étant payée, leur logement souvent acquis, et leur retraite représentant une ressource sécurisée, les seniors sont grands consommateurs de produits et services : ce sont les premiers acheteurs de voitures neuves, de voyages, de biens de consommation de qualité, de services bancaires ou assurantiels. Le succès grandissant du Salon des Seniors en est l’illustration emblématique.
  • Ils constituent aussi une opportunité de créer de nombreux emplois dans les métiers médicaux et paramédicaux.
  • Ils animent une économie nouvelle dans les territoires : dans les zones littorales, à l’ouest et au sud, mais aussi dans les régions enclavées ou souffrant plus de la crise économique : ils sont un facteur de stabilité économique, voire de croissance.

« Bien vieillir », une nouvelle exigence

  • C’est un plan national que j’ai lancé (le deuxième en2010) : bien vieillir passe par une hygiène de vie et une nutrition adaptées, par des activités physiques et sportives, par lameilleure transmission des savoirs entre les générations.
  • C’est mieux prendre soin de sa santé, en pratiquant des activités épanouissantes. Et c’est un « plus » social qui profite à l’ensemble de la société.

Vivre chez soi

  • Bien vivre, pour les seniors, c’est aussi pouvoir vivre chez soi, non pas pour s’y replier mais pour y profiter d’un lieu de confort, de sécurité qui fonctionne comme un véritable relais depuis l’intérieur. J’ai pu vérifier ce désir lors de mes nombreuses rencontres avec les aînés à travers notre pays, et c’est pour cela que j’ai créé le projet national « Vivre chez soi ».
  • Vous allez vous-mêmes pouvoir évaluer l’enjeu, l’impact humain, social et économique que ces 6 axes majeurs représentent à eux seuls pour l’ensemble de la société française, mais aussi pour la croissance et la restructuration de notre économie :
  1. C’est, d’abord, sécuriser l’habitat, premier lieu des risques d’isolement, d’accidents domestiques, d’abus de confiance. Ces risques augmentent avec l’âge, à tel point que nos aînés sont les premières victimes des accidents domestiques, qui sont très souvent un facteur déterminant dans les placementsen institution. Le rôle de la prévention à domicile sera donc décisif pour déplacer le curseur de la perte d’autonomie. C’est aussi un facteur de modernité et de croissance, au même titre qu’un élément de qualité de vie.
    Mon objectif était de créer un « diagnostic » pour l’autonomie à domicile destiné aux aînés désireux de vivre chez eux et qui sont en bonne santé : c’est plus de 80% des 60 ans et plus. Ce diagnostic pourra également intervenir en cas de sortie d’hospitalisation. Cela implique de changer le visage de l’urbanisme, de l’économie urbaine, dans et à l’extérieur des logements : c’est un immense chantier économique et industriel.
  2. Ensuite, les technologies et services de l’autonomie sont un atout essentiel pour répondre aux besoins et aux attentes des aînés en matière d’autonomie, de mobilité, d’accès à l’information et aux services, de sécurité, de liens familiaux : elles représentent là aussi, à elles seules, une nouvelle économie qui va profiter à l’ensemble de notre société.
    Mon objectif était :
    – d’identifier les besoins et les services nécessaires au vivre chez soi, élargis à l’ensemble des aînés dans leur parcours de vie (autonome, fragile et dépendant) et en lien avec leur entourage familial.
    – de définir les technologies et les services associés susceptibles d’être développés rapidement et les conditions techniques et économiques de ce développement.
    J’ai sur ce point constaté que les aînés ont une pratique de plus en plus familière des nouvelles technologies de l’information, notamment d’internet. Ils les « boostent ».
    Il faut à présent transformer ces atouts en richesse, en éléments et secteurs économiques cohérents. C’est un pari énorme sur l’avenir, mais je suis persuadée que nos entreprises, nos pouvoirs publics, vont savoir relever ce défi, comme ils l’ont fait quand il s’est agi de transformer la gestion urbaine et l’environnement, en une véritable composante économique.
  3. Mieux prévenir la perte d’autonomie, c’est aussi vivre dans un environnement favorable incitant à la mobilité, qui est non seulement symbole de liberté, mais aussi facteur de production accélérée de richesses.
    Les besoins spécifiques des aînés sont insuffisamment pris en compte dans l’urbanisme, l’aménagement des espaces et des réseaux de transports : les élus locaux, ici présents, le savent.
    Là encore, on sait qu’il s’agit d’investissements coûteux, mais porteurs de croissance, de richesses et de développement durable.
    C’est pourquoi mon objectif fut d’initier, dans le sillage du label « bien vieillir » une véritable stratégie d’adaptation de nos villes et villages au vieillissement de la population : imaginez ce que cela représente à l’échelle de notre ville de Lyon ! En termes de transports, de mobilité, d’accessibilité…
    Les aînés vont nous aider à repenser la ville à l’aune des plus fragiles. Nous sommes tous concernés car nous avons tous été fragilisés, ou le serons un jour : une femme enceinte, un malade, une personne handicapée.
  4. Pour mieux prévenir la perte d’autonomie des aînés,nous avons aussi besoin de professionnels compétents. Cette cause humaine constitue une immense réserve d’emplois d’avenir.
    Les métiers sont nombreux : aide à la vie, aide ménagère, infirmière, aide-soignante, aide médico-psychologique, aide à la mobilité, aide à la sécurité, installation et maintenance des technologies à domicile. Il s’agit d’emplois pérennes, non délocalisables, qui profitent à toutes les générations et tous les territoires. Mais il faut aussi valoriser ces emplois, en faire des métiers qualifiés, offrant des perspectives de carrière. C’est pourquoi j’avais ouvert un vaste chantier sur ce sujet.
  5. Lutter contre les effets de la perte d’autonomie des aînés, c’est aussi une question de droit. Notre société fondée sur l’égalité des droits, doit garantir à tous nos aînés, qu’ils soient autonomes ou dépendants, le respect dû à tout citoyen et à tout être humain.
    Le vieillissement de notre société nous impose donc de revoir les fondements et les usages de notre droit. J’ai eu l’occasion d’en parler avec les notaires lyonnais (successions, transmission du patrimoine, tutelle des personnes dépendantes).
    C’est pourquoi, j’ai souhaité proposer une charte des aînés qui affirme l’égalité des droits et valorise les acteurs qui les respectent, et que j’ai inscrit la lutte contre la maltraitance envers les aînés comme l’une de mes priorités ministérielles : j’avais, par exemple, pris la décision de veiller à ce que l’ensemble des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes observent des règlements strictes en matière de bientraitance. Ceux qui n’étaient pas aux normes, ont été fermés : là encore, l’impératif de respect des personnes et de qualité de vie vient apporter une stimulation à la qualité de vie et à la croissance. Il lui donne des critères précis, normés, qui relèvent directement de l’amélioration du niveau global de la qualité de vie.
  6. Enfin, pour lutter contre la dépendance des aînés, il faut, en amont, avoir une vision économique globale axée non pas sur une économie de la dépendance, mais une véritable économie de l’autonomie. Cela suppose d’organiser les filières économiques en valorisant les parcours professionnels des aidants, mais aussi en offrant des prestations de services de meilleure qualité, adaptées et accessibles à tous, sur l’ensemble du territoire. Car c’est depuis les territoires eux-mêmes que doit se construire, dès aujourd’hui, une économie du vieillissement. C’est une source de richesse pour les villes et les territoires.

Vous, jeunes chefs d’entreprise, vous êtes aussi concernés par la construction de cette nouvelle économie, dont les perspectives doivent être tracées.

Tant que les personnes âgées restent chez elles, nous devons donc, Mesdames, Messieurs, pouvoir leur garantir un accompagnement sur mesure.

Dans ce dispositif, je ne veux pas oublier d’évoquer le rôle primordial des aidants familiaux, qui assument souvent une grande partie de l’aide à domicile. Les chiffres en témoignent : les 3/4 des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile perçoivent une aide de leur entourage. Nous avons tous fait l’expérience de ce soutien dans nos familles. Ce sont les proches de la personne âgée dépendante qui consacrent en moyenne quatre heures par jour aux démarches administratives, aux courses, à la préparation des repas et à la surveillance de leur proche en situation de dépendance.

C’est pourquoi j’avais prévu dans le cadre de la LFSS 2010 de multiplier les solutions dites de répit (accueil de jour et
hébergement temporaire) pour soulager ces aidants familiaux de ce dévouement de tous les instants. Car je ne voulais pas que les aidants soient les 2èmes victimes de la dépendance de leur proche, alors qu’ils constituent un exemple de solidarité et de proximité qui honore notre modèle social et humain.

Là encore, vous le voyez, la solidarité des proches d’une personne âgée en situation de fragilité vient refonder le sens de notre « Vivre ensemble ».

Je ne puis conclure sans évoquer un point qui semble au premier abord en contradiction avec le thème de votre réflexion : le vieillissement représente un coût croissant pour la société. Et la prise en charge des personnes dépendantes, avec la progression constante des maladies neurodégénératives représente une charge financière qui atteint aujourd’hui 14 milliards d’euros pour l’Etat.

Mais comme l’a dit le Président de la République, qui a une mission prospective, cette charge n’est pas une fatalité.
Le défi qui nous est lancé, est de transformer précisément ce qui est aujourd’hui une charge nette pour la société, en croissance.
Les effets de la crise économique mondiale sur notre économie nationale, dont nous connaissons la rudesse, ont été amortis par le fait que 30% de notre PIB est socialisé. C’est la preuve que notre pays a déjà intégré le bien-être et la santé de l’ensemble des citoyens comme un élément de richesse et de production de richesses !

Aujourd’hui, je continue ce combat que j’ai mené au service des aînés, avec la même conviction pour l’ensemble du domaine de la santé.
Je suis de retour de Chine, où j’ai lancé une coopération approfondie entre nos hôpitaux publics. Le Ministre chinois de la santé, qui connaît bien notre pays, a entrepris une vaste réforme de la santé qui s’inspire de la France.
En Chine, la protection sociale, les services médicaux, le remboursement des médicaments restent limités, alors que la population aspire à être mieux soignée. On n’a encore rien prévu pour gérer le vieillissement très important de ce peuple d’1,4 milliards d’habitants.
Créer un système de protection sociale pour la santé, pour les personnes âgées notamment, permettrait :
– de faire baisser drastiquement l’épargne privée des ménages ;
– de les inciter à investir ;
– mais surtout de consommer, car les salaires, en 2 ans, ont progressé de 20% ;
– ce faisant, le commerce intérieur serait stimulé ;
– on échapperait aussi au dumping social dans lequel ce pays s’est enfermé.
– on voit aussi se dessiner une perspective qui amène à transformer une charge et des coûts, en croissance, et en mieux-vivre : c’est cela le progrès.

Imaginons, Mesdames et messieurs, ce qu’une telle évolution en cours peut représenter pour notre pays, en termes d’exportation de ses savoir-faire dans le monde entier.

Nos savoir-faire en matière de gériatrie, de logement, d’urbanisme, d’équipements logiciels, pour transformer des
objets de la vie quotidienne en outils de qualité de vie pour les aînés ; sont appréciés dans le monde entier.
Ils peuvent et vont créer un potentiel de croissance à l’intérieur, comme à l’extérieur de nos frontières.

C’est pour moi un des plus grands et exaltants combats de la femme engagée que je suis. Alors oui, le vieillissement de la population française et mondiale est une chance et une richesse pour l’humanité.

Mais il faut la saisir ensemble, acteurs publics et privés, pour transformer un coût en croissance, et, pour tout dire, en bonheur ! »


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Cet article a été publié par la Rédaction le

1 réflexion sur “Nora BERRA : « La France vieillit ? Une chance pour notre pays »”

  1. Entre les lignes

    Intéressant ce discours…
    Nora BERRA serait-elle en désaccord avec les premières conclusions du débat national sur la dépendance piloté par Roselyne BACHELOT ?
    Elle s’affiche en effet pour une « économie de l’autonomie » VS une « économie de la dépendance » cette dernière étant plutot l’axe d’analyse de dependance.gouv.fr si je ne m’abuse…
    « Mon objectif était » elle ne cesse de le répéter en évoquant son projet passé, cela sonne comme du regret…
    Pour autant en conclusion elle ne s’affiche pas en désaccord avec la politique du président de la République dont elle cite la « mission prospective » : dans ce terme j’entends la première annonce d’une réelle mise en place d’actions sur le cinquième risque et la dépendance en général pas avant l’échéance électorale de 2012….
    Voilà c’était juste une lecture toute personnelle que je souhaitait vous faire partager

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