Morts solitaires du Japon (Kodokushi) : défi croissant d’une société vieillissante

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Le Japon, pays à la population la plus âgée du monde, fait face à une crise silencieuse mais alarmante : la solitude et l’isolement croissant des personnes âgées. Selon un récent livre blanc publié par le gouvernement, les Japonais de 65 ans et plus, représentant 29,1 % de la population, sont de plus en plus nombreux à vivre seuls et à souffrir d’un manque de connexions sociales. Mais un autre phénomène troublant s’intensifie : ces mêmes personnes âgées, souvent poussées par la pauvreté et la solitude, choisissent délibérément de commettre de petits délits pour être incarcérées. Ce choix inhabituel en plus de celui du kodokushi (morts solitaires) met en lumière des problèmes sociaux profonds dans un pays en proie à un vieillissement rapide de sa population et à une crise économique touchant les seniors.

Ce phénomène inquiétant porte un nom : « kodokushi”, ou mort solitaire. Il désigne la mort d’une personne seule, dont le corps n’est découvert que longtemps après son décès. Cette réalité met en lumière des failles dans le tissu social japonais, autrefois renforcé par des liens communautaires solides.

Morts solitaires

La montée en flèche des morts solitaires : un phénomène préoccupant

En 2024, près de 40 000 personnes sont mortes seules chez elles au Japon, avec environ 4 000 corps découverts plus d’un mois après leur décès et 130 retrouvés après un an ou plus. Ces chiffres soulignent l’ampleur du problème, surtout parmi les personnes âgées. La police nationale rapporte que plus de 70 % des décès solitaires concernent des individus de 65 ans et plus.

Les sondages révèlent que 48,7 % des seniors considèrent comme « très réelle » ou « plutôt réelle » la possibilité de mourir seuls. Ceux qui vivent seuls sont particulièrement vulnérables : seulement 38,9 % d’entre eux déclarent parler à quelqu’un quotidiennement, contre 80,9 % des seniors vivant avec d’autres personnes.

Les projections démographiques indiquent que d’ici 2050, 10,8 millions de seniors vivront seuls, soit une augmentation de 47 % par rapport à 2020. Parallèlement, les foyers composés d’une seule personne représenteront 44,3 % des ménages japonais. Cette hausse est attribuée à une évolution des structures familiales et à une diminution des mariages et des naissances.

Kodokushi : la réalité tragique des décès dans l’isolement

Le terme « kodokushi » désigne ces décès solitaires qui passent souvent inaperçus. Dans les années 1990, la crise économique et l’instabilité de l’emploi ont laissé de nombreux Japonais sans filet de sécurité familial ou social. Aujourd’hui, des initiatives locales, comme des patrouilles bénévoles ou des capteurs de mouvement dans les appartements, tentent d’atténuer le phénomène, mais les décès solitaires persistent.

morts solitaires graphique japon
©️nippon.com

Certaines communautés, comme le complexe résidentiel de Tokiwadaira près de Tokyo, ont mis en place des programmes de soutien pour les personnes âgées. Ces initiatives incluent des lignes d’assistance, des activités sociales et des systèmes de surveillance pour vérifier le bien-être des habitants. Bien que ces efforts aient réduit le nombre de décès solitaires prolongés, ils restent insuffisants face à l’ampleur du problème.

S’inspirer d’Okinawa : le modèle de la longévité heureuse

Les experts suggèrent que d’autres régions du Japon devraient s’inspirer de la culture d’Okinawa, où les relations communautaires sont renforcées par des événements sociaux réguliers.  Les seniors d’Okinawa participent régulièrement à des événements sociaux et bénéficient de l’esprit de « moai », un système d’entraide mutuelle entre voisins.

Cette approche pourrait jouer un rôle clé pour contrer la solitude et promouvoir une vieillesse plus épanouie.

Le rôle du gouvernement dans la lutte contre l’isolement et les morts solitaires

En 2023, le gouvernement japonais a mis en place un groupe d’experts pour étudier le phénomène des morts solitaires et proposer des politiques adaptées. Parmi les mesures envisagées figurent des campagnes de sensibilisation et le développement de réseaux de soutien communautaire pour les personnes âgées vivant seules.

Des centres communautaires comme l’Iki Iki Drop-in Centre offrent un espace de socialisation aux seniors isolés. Là, les résidents peuvent partager un café et discuter, brisant ainsi leur isolement. Ces efforts locaux, bien que louables, ne suffisent pas à enrayer une tendance nationale alimentée par des changements démographiques profonds.

La crise des décès solitaires est un miroir des défis sociaux et économiques auxquels le Japon est confronté. Avec une population vieillissante, il est crucial de repenser les politiques de solidarité et d’inclusion sociale. Encourager les liens intergénérationnels et offrir des solutions innovantes pourrait aider à construire un avenir où chacun peut vieillir dans la dignité et la compagnie.

La prison : un moyen d’éviter le kodokushi pour les seniors japonais solitaires

Au Japon, le « crime gris » ou crime commis par une personne âgée est un phénomène important. En effet, chaque année, il tend même à prendre de l’ampleur. Selon le rapport de la police japonaise relatif à la délinquance, 20% des crimes et délits sont commis par les seniors au Japon. Ces crimes permettent aux séniors isolés d’éviter le phénomène accablant des morts solitaires, puisqu’en prison, ils ne sont jamais seuls.

La pauvreté des retraités japonais : une réalité alarmante

Malgré l’image prospère du Japon, près de 20 % des personnes âgées de 65 ans et plus vivent sous le seuil de pauvreté, un taux bien supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE (14,2 %). Avec des retraites de base qui ne dépassent souvent pas 800 euros, ces seniors peinent à subvenir à leurs besoins dans des villes comme Tokyo, parmi les plus chères du monde. Cette précarité pousse certains à voir la prison comme un refuge offrant un toit, trois repas par jour et des soins médicaux gratuits, leur évitant ainsi des morts solitaires auxquelles souvent ils ne peuvent échapper.

Pourquoi les seniors japonais commettent-ils des délits ?

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Selon les forces de l’ordre, les délinquants seniors ont plusieurs motivations :

  • des difficultés financières : nombreux sont les personnes âgées en proie à la précarité
  • des difficultés sociales : d’une part, ils se sentent seuls et isolés du fait de leur âge ; le vol est donc une façon de se faire remarquer ; d’autre part, les ex-détenus seniors sont confrontés à une situation compliquée lorsqu’ils recherchent un nouvel emploi ou s’ils attendent du soutien de leurs proches.
  • des difficultés démographiques : le Japon voit sa population décliner et vieillir de plus en plus vite, tandis que l’espérance de vie s’allonge. Le quotidien Australian Financial Review  explique « L’augmentation du nombre de retraités qui commettent des crimes serait donc mécaniquement liée à cette donnée ».
  • des difficultés économiques : certaines personnes âgées préfèrent une vie derrière les barreaux, mais subventionnée par le gouvernement, à une vie isolée à l’extérieur.

Des initiatives encore insuffisantes

Face à cette crise, le Japon tente de mettre en place des solutions. Des programmes de réinsertion, des aides au logement et des soutiens communautaires ont été développés, mais ils peinent à enrayer la récidive, qui atteint 60 % dans les deux ans suivant la libération. Une fois dehors, ces seniors se retrouvent souvent seuls et sans ressources, ce qui les pousse à retourner en prison.

La Corée du Sud : Les seniors aussi commettent volontairement des délits

Comme plusieurs pays asiatiques, la Corée du Sud fait face à un vieillissement plus que rapide de sa population, une situation qui ne plait guère aux sud-coréens puisque la charge financière menace de s’alourdir considérablement dans les années à venir. Ainsi, nombreux sont les retraités qui commettent des délits, et ce, volontairement, dans l’objectif d’aller en prison, où ils seront logés, vêtus, soignés et nourris. Une fois relâchés, ils récidivent.

D’après le ministère de la Justice, c’est la première fois que le nombre de détenus de plus de 60 ans dépasse de 10% le nombre total des détenus.

« Les personnes ayant dépassé la soixantaine représentent 19,2 % de la population, ce qui fait augmenter le nombre des détenus âgés », a indiqué aux journalistes un représentant du ministère de la Justice. Il a également expliqué que de nombreux retraités se faisaient mettre en prison de manière délibérée afin de « joindre les deux bouts » ; par ailleurs, les retraités seraient mieux en prison qu’en liberté car ils y feraient des travaux plus faciles : coller des enveloppes et des paquets par exemple.

Ainsi, derrière les barreaux, ces aînés trouvent non pas une punition, mais un refuge face à une liberté devenue trop difficile à porter.


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Cet article a été publié par la Rédaction le

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