Modélisation systémique du marché des aides techniques
et/ou technologiques au service du grand âge
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Ce chapitre montre à travers 5 exemples comment l’oubli d’une des composantes du marché, vu ici comme un système, peut être préjudiciable à la réponse adaptée à un besoin de la personne âgée en perte d’autonomie ou de son aidant, à l’implantation et à la diffusion de la technologie.
La contribution du système permet d’isoler à un moment donné une de ses composantes, tout en sachant qu’elle fait partie d’un tout, pour comprendre son niveau d’interaction sur l’ensemble des autres composantes qui anime le modèle.
C’est ensuite une évaluation participative de ce niveau d’interaction qui permettra au porteur de projet de faire des choix stratégiques dans le développement de son produit, et peut être, d’en écarter, tout en sachant qu’elles existent.
Les exemples présentés ci-dessous ont été sélectionnés par nos soins en adéquation avec les enjeux et les problématiques actuels liés à la conception de produits et/ou services innovants en gérontechnologie.
4.1. Deux exemples avec l’axe ontologique
4.1.1. Le coût des aides techniques et/ou technologiques
6,7% des retraités français, soit 900 000, vivent sous le seuil de pauvreté (5) avec un revenu inférieur à 817 euros par mois. 598 500 personnes de plus de 65 ans perçoivent le minimum vieillesse, soit 621,27 euros par mois. 60% des bénéficiaires sont des femmes [1]. 80% des personnes en Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) doivent faire appel aux ressources de leurs proches pour financer leur prise en charge ou mobiliser une partie de leur patrimoine [18]. Ces chiffres montrent que le porteur de projet qui souhaite concevoir un produit et/ou service n’a pas le choix que de réfléchir à des modèles économiques qui lui permettront de générer des bénéfices en rendant un service à des personnes non solvables. Pour cela, il doit intégrer dans le développement d’une solution technique une analyse de la valeur pour offrir un produit le moins cher possible mais garantissant un haut niveau de service. Parallèlement il doit comprendre les mécanismes d’attribution des aides financières allouées par les pouvoirs publics pour être en mesure de définir quels sont ses clients potentiels.
4.1.2. Les variabilités des situations
Toutes les personnes âgées ne peuvent pas bénéficier d’une offre standardisée qui réponde pleinement à l’ensemble de leurs besoins personnels : caractère hétérogène du vieillissement [5,6]. Ainsi, un porteur de projet voulant développer une aide technique pour permettre le maintien d’un haut niveau d’autonomie tout en garantissant un haut niveau de santé et de sécurité, pour un sujet âgé atteint de la maladie d’Alzheimer, devra considérer son environnement (lieu de vie, les personnes qui gravitent autour d’elle, ses pathologies, ses besoins, etc.). Autrement dit, le porteur de projet devra définir précisément qu’elles sont ses cibles et leurs besoins. Les besoins de sécurité et de santé pour un malade Alzheimer vivant à domicile avec ses proches seront différents de ceux du malade Alzheimer vivant seul à domicile ou ceux du malade Alzheimer vivant seul en institution. Dans cette identification du besoin, le porteur de projet devra aller au plus près des usagers pour proposer ensuite des solutions adaptées à l’expression des besoins. Il pourra alors solliciter l’expertise de groupes de parole où les personnes âgées interviennent (maisons de retraites, réseaux de solidarité, clubs de séniors, associations de malades, etc.). Grâce à ce travail, il sera en mesure de traduire le besoin pour le segment de marché qu’il considère tout en prenant en compte les autres composantes du marché [19].
4.2. Un exemple avec l’axe fonctionnel : les normes
Aujourd’hui la RID cherche à reconsidérer la notion de territoire en institution et à domicile en intégrant dans ces différents environnements des technologies identiques. Or la réalité du terrain est tout autre [20]. En maison de retraite, par exemple, les chambres sont par convention 21m², parmi lesquels 17 m² sont destinés à l’accessibilité du lit du malade. Toute la chambre est structurée autour du lit du malade [20]. Une chambre de 21 m², en maison de retraite, n’est pas vue comme un logement mais un substitut de logement. Le concepteur de produits innovants (ex : table adaptative [11]) devra prendre en compte dans les fonctions de son produit ces normes structurales pour l’implanter en maison de retraite. A domicile il aura plus de liberté mais dans le cas des téléassistances, il devra aussi considérer le respect de la confidentialité des données et de l’intimité et dignité de la personne [21]. Les contraintes induites par les normes constitueront également le cadre de l’innovation pour le porteur de projet.
4.3. Un exemple avec l’axe génétique : la perception commune
La perception commune, ou la représentation sociale, de la personne âgée impacte directement sur la nature, la qualité et la création de valeur de l’innovation. Les exemples de la Suède et de la France en attestent. Depuis longtemps la Suède est l’un des pays les plus avancés au monde en ce qui concerne l’insertion des personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie, aussi bien pour ce qui concerne l’accessibilité et l’organisation de ses transports, de son éducation ou de son marché du travail [22]. Pour les Suédois c’est à la société de s’adapter aux besoins des personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie et non l’inverse. Cette approche du handicap n’est pas sans conséquence sur la méthodologie de conception d’un produit. L’exemple le plus parlant est l’abaissement des hauteurs des trottoirs à Stockholm qui va permettre de rendre les lieux publics plus accessibles aux personnes en fauteuil, à mobilité réduite ou aux personnes déplaçant une poussette [22]. Le système français tend aujourd’hui vers la conception universelle ou inclusive, démarche conceptuelle apparue dans les années 90 aux Etats Unis pour concevoir des produits et environnements qui soient accessibles, compréhensibles et utilisables par tous, sans devoir recourir à des solutions nécessitant une adaptation ou une autre conception spatiale [23]. L’objectif de la conception universelle est de simplifier la vie de chacun en proposant des produits à moindre frais ou sans frais supplémentaires. Il s’agit d’une démarche globale qui est centrée sur l’usager et qui tente de satisfaire ses besoins quelque soit son âge, sa taille et ses capacités. L’Histoire de la conception des produits pour tous montre que l’engagement politique dans les actions de prise en charge du handicap et/ou du vieillissement sont nécessaire pour le déploiement et la formalisation de ces méthodologies. La loi ADA (American with Disabilities Act) en 1990 aux Etats Unis et la Charte canadienne des droits et libertés de 1985 en attestent [23]. Il aura fallu à la France attendre la loi handicap du 11 Février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation sociale et la citoyenneté des personnes handicapées, pour poser le principe du « droit à compensation ». Il n’en demeure pas moins que la personne âgée est vue encore trop souvent en France comme une personne grabataire, malade qui coûte cher [24, 25, 26]. Nous en voulons pour preuve que les personnes âgées en Suède se promènent naturellement avec un déambulateur alors qu’en France elles ne réalisent pas cette activité. Cette contrainte, incluse dans le modèle du marché des aides techniques et/ou technologiques au service du grand âge, devra donc être prise en compte dans la conception du produit et/ou du service. Elle le sera également lorsque le porteur de projet mettra en place des stratégies de marketing pour diffuser et vendre son produit. Un même produit ne pourra pas satisfaire les besoins en Suède et en France sauf si au préalable le porteur de projet a connaissance de la représentation sociale de la personne âgée dans ces deux sociétés.
4.4. Un exemple avec l’axe téléologique : les lois
Selon le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires » proposé par Roseline Bachelot6, nous allons passer d’un système hospitalo-centrique à un système domestico-centrique où nous devrons créer de nouveaux services et compétences pour maintenir, par exemple, le plus longtemps possible les personnes en situation de perte d’autonomie à domicile afin de retarder leur institutionnalisation qui coûte cher à nos pouvoirs publics [25, 26]. Dans la conception du produit, le concepteur devra ainsi prendre connaissances des applications de cette transformation du système de santé français et en particulier, les conséquences de la mise en place de la tarification à l’activité [26,27] et le changement de statut du patient passant du patient traditionnel (sujet souffrant, passif) à la personne malade active [1]. Autrement dit, le patient de demain sera une personne plus exigeante sur la qualité du service qui lui sera proposée au travers par exemple d’une aide technique. 4.5. Limites Cette modélisation du marché des aides techniques et/ou technologiques tend vers l’exhaustivité mais elle n’est pas parfaite puisque notre perception de la réalité est sélective [17]. De plus, l’idée de complexité comporte l’imperfection puisqu’elle comprend l’incertitude et la reconnaissance de l’irréductible [14]. Autrement dit, ce modèle sera amené à évoluer en fonction de nos connaissances de l’évolution du marché. Bien que nous ayons décrit 5 exemples, il ne s’agit là que d’un échantillon parmi tant d’autres. Enfin, nous n’avons pas établi de coefficients de pondération entre les composantes du modèle bien que nous sachions que certaines des composantes ont une action capitale sur la maturation du marché. Nous en voulons pour preuve l’action des pouvoirs publics, en termes de la qualité du remboursement de ces aides techniques et/ou technologiques et, l’action simultanée de la société en termes de considération et de perception de la personne âgée.
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5- Défini selon la norme européenne à 60% du salaire médian
6- Ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative sous le gouvernement d’Avril 2009
Cet article a été publié par la Rédaction le