Mémoire & Sport : 4 questions à Robert Jaffard, neurobiologiste et membre du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires

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Événement international et fédérateur, les Jeux Olympiques et Paralympiques débuteront à Tokyo, respectivement, le vendredi 23 juillet et le mardi 21 août 2021. Quel est le lien entre le sport et la mémoire ? Quelle est l’importance de la préparation mentale ? De la répétition du geste et de la concentration ? Robert Jaffard, neurobiologiste spécialisé dans l’étude de la mémoire et membre de l’Observatoire B2V des Mémoires a accepté de nous éclairer sur ces questions et de nous expliquer le lien entre sport & mémoire.

1 – En quoi la pratique d’une activité physique a un impact sur notre mémoire ?

Robert Jaffard :

Les travaux réalisés sur l’animal puis chez l’homme montrent que l’activité physique (AP) améliore la mémoire déclarative / relationnelle qui, comme la mémoire épisodique et la mémoire spatiale, dépendent de façon critique de l’hippocampe.

Cette amélioration est liée aux effets de l’AP sur la « neuroplasticité » de la structure dont la neurogénèse (production de nouveaux neurones), la densité et la plasticité des synapses sont augmentées. Outre ses effets sur l’hippocampe, l’AP améliore, chez l’homme, le fonctionnement du cortex préfrontal qui, en relation avec l’hippocampe, joue un rôle essentiel dans l’encodage, la consolidation et le rappel des souvenirs. Comment l’activité des muscles peut-elle modifier le fonctionnement du cerveau ? Récemment, il a été montré que la cathepsine B, une enzyme produite pendant l’activité physique, est l’un des signaux périphériques qui stimulent la plasticité de l’hippocampe et ses conséquences positives sur la mémoire.

Finalement, au-delà de ces explications très « biologiques », la question se pose de savoir ce que recouvre, chez l’homme, cette « activité physique ». Plus précisément sa durée, sa fréquence, son intensité, le fait qu’elle soit pratiquée de façon solitaire ou en groupe (sports d’équipe) constituent, avec la « motivation », autant de facteurs potentiellement importants. Par exemple, les 150 mn/semaine d’AP (solitaire) recommandées par l’OMS sont-elles suffisantes pour améliorer la mémoire des jeunes adultes et même, au-delà, contrecarrer les effets délétères du vieillissement normal et pathologique ? C’est en tout cas la conclusion de travaux conduits chez des personnes âgées où ces conditions minimales suffiraient pour augmenter le volume de l’hippocampe et améliorer la mémoire spatiale.

2 – Quelle est l’importance de la répétition du geste du sportif pour sa mémorisation.

Maladie d'Alzheimer et perte de mémoire

Il s’agit ici de développer une « habilité » (compétence) motrice ou perceptivo-motrice, une forme de mémoire non-déclarative dite procédurale.

Ce développement passe par trois stades: un stade cognitif de représentation explicite du geste, un stade associatif d’exécution répétée avec correction des erreurs et un stade autonome où l’habileté devient un « programme moteur » comparable à un réflexe inné. Ces programmes moteurs permettent l’exécution coordonnée – rapide et précise – de séquences d’action motrice que l’on retrouve en particulier dans les disciplines athlétiques (e.g. lancer de javelot, triple saut…). Globalement, ces programmes reposent sur les régions sensorielles et motrices du cortex cérébral et sur le striatum, structure sous-corticale indispensable pour établir le lien entre perception et commande motrice. En outre, le cervelet est critique pour y incorporer le timing précis des séquences motrices les plus complexes.

C’est au sein de ce vaste ensemble que des circuits ou des « cartes » cérébrales précises vont être sélectionnées et ainsi sous-tendre l’habileté motrice pour laquelle le sujet a été entraîné. Mais la clé de la réussite est la répétition. On sait en effet, depuis les théories de Donald Hebb au milieu du siècle dernier que l’émergence fonctionnelle de telles cartes exige que les assemblées neuronales qui la composent soient activées de façon répétitive. Depuis, on a montré que des activations suffisamment répétées par la pratique conduisent à des modifications structurales (i.e. morphologiques) durables concernant à la fois les volumes de matière grise (MG, où prédominent les corps cellulaires des neurones) et de substance blanche (SB, qui contient les fibres nerveuses). La neuroimagerie morphométrique montre effectivement que l’expertise des sportifs de haut niveau, des joueurs de golf aux boxeurs en passant par les basketteurs et les gymnastes est associée, selon la discipline pratiquée, à des « traces » morphologiques marquées au sein la MG et la SB de certaines régions cérébrales précises. Et au total, on estime que plus de 80% de la matière grise cérébrale d’un cerveau adulte est modifiable par l’AP.

3 – Pourquoi dit-on que le travail mental est aussi important que la préparation physique stricto-sensu ?

Le travail mental est complémentaire de la préparation physique. Il consiste, en premier lieu, à pratiquer l’imagerie motrice. Cette pratique consiste à imaginer le mouvement accompagné de l’ensemble des sensations qu’il produit (e.g. tensions musculaires, perceptions visuelles) et incluant, si possible, l’ordre et le timing des séquences motrices qui le composent

Cette imagerie mentale entraîne des gains de performance comparables à celles obtenues par l’exercice physique effectif. Les deux sont complémentaires et, de fait, il y a bien une large superposition des régions cérébrales activées par chacun de ces deux types d’entraînement. Leur consolidation est en outre améliorée de façon comparable par le sommeil. Il faut aussi noter que des effets similaires à ceux de l’imagerie mentale sont produits par l’observation du mouvement exécuté par une tierce personne. Cela tient au fait qu’observer ou exécuter soi-même un mouvement particulier active les mêmes neurones. C’est ce que l’on appelle le système des « neurones miroirs ».

Au total, s’il existe des alternatives efficaces et complémentaires à la répétition effective (concrète) du geste, elles ne concernent que des mouvements précis et limités, c’est-à-dire des habiletés motrices qualifiées de « fermées ». Ces habiletés deviennent « ouvertes » quand elles doivent s’adapter à un environnement changeant (e.g. mouvements de la balle, du ballon ou du palet ainsi que du ou des joueurs adverses) ce qui nécessite un autre type de travail mental. Ce sera par exemple la construction mentale explicite de scénarios à venir possibles à partir du souvenir d’expériences passées incluant leur tonalité émotionnelle.

4 – Doit-on faire abstraction de sa mémoire pour se concentrer ?

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La question ici posée est de savoir si l’évocation de souvenirs (mémoire déclarative dépendante de l’hippocampe) peut affaiblir, par la « déconcentration » qu’elle entraînerait, l’expression d’une habileté motrice procédurale (dépendante du striatum). Bien que ces deux systèmes de mémoire soient souvent considérés comme fonctionnellement indépendants ou « encapsulés », il existe des situations expérimentales dans lesquelles ils peuvent entrer en compétition (e.g. La mémoire d’une liste de mots peut perturber le rappel d’une séquence motrice digitale).

Au-delà, le sportif placé en situation de compétition doit rester concentré sur un seul objectif, celui de réaliser par ses actions la meilleure performance possible. Or il existe un système cérébral qui peut s’y opposer. Il s’agit du « réseau du mode par défaut » (RMD), constitué de structures cérébrales dont l’activation synchrone entraîne, chez le sujet au repos, un « vagabondage mental » portant entre autres sur l’évocation de souvenirs personnels (mémoire autobiographique). Réduire ou supprimer l’activité du RMD pour se concentrer sur l’objectif du moment suppose un basculement de l’activité cérébrale vers le système exécutif du cortex préfrontal qui permet un « recentrage » sur l’action en cours et sa gestion.


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Cet article a été publié par la Rédaction le

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