Les déficiences visuelles liées à l’âge devraient toucher 1 Français sur 3 d’ici à 2030. Les 60+ sont en effet les premiers concernés par la dégénérescence maculaire liée à l’âge, la cataracte, le glaucome ou encore la rétinopathie.
L’association Valentin Haüy (AVH) répond précisément aux besoins quotidiens des personnes aveugles, malvoyantes ou en perte de vision en termes d’autonomie et ce, dans tous les actes de leur vie quotidienne. Entretien avec Gabriel de Nomazy, Président de l’AVH.
1889 – 2019 : 130 ans d’actions pour l’intégration
Créée par Maurice de La Sizeranne en 1889, l’AVH poursuit l’ambition de son fondateur et déploie ses actions partout en France pour permettre aux personnes aveugles et malvoyantes de gagner en autonomie au quotidien.
Le 28 janvier 2019 marque les 130 ans de l’organisation qui, dans le prolongement de son projet associatif, agit en faveur de l’insertion sociale et défend l’accessibilité sous toutes ses formes : physique, culturelle, numérique.
3 Questions à Gabriel de Nomazy
A la tête de l’association depuis le 6 juin 2018, il entend respecter les valeurs à l’origine de sa création tout en répondant aux besoins actuels.
Quel bilan dressez-vous de ces 130 années passées à faire avancer la cause des aveugles et des malvoyants ?
Jusqu’au 18ème siècle, l’histoire des personnes aveugles se confond avec celle de tous les exclus. Les moins favorisés mendient ou vivent d’expédients, des organismes de bienfaisance venant seuls les secourir. C’est dans ce contexte que Maurice de La Sizeranne fonde l’association Valentin Haüy, associant dans sa direction aveugles et voyants de façon paritaire. Dès sa création, l’association a voulu permettre aux personnes aveugles et malvoyantes de vivre de façon digne et autonome : premiers ateliers de fabrication (brosserie, vannerie…) en 1893 ; ouverture de l’institut psychopédagogique de Chilly-Mazarin en 1900 ; création de l’école de kinésithérapie et d’une formation de standardiste en 1906 ; ouverture du service social en 1944, d’un premier ÉSAT en 1962, de résidences-services pour seniors et jeunes travailleurs en 1993, d’un service d’accompagnement à la vie sociale en 2012.
L’objectif de l’association est aussi de permettre à tous l’accès à la culture, à l’écriture et à la lecture. C’est ainsi que sont créées l’imprimerie braille en 1910 et la bibliothèque sonore en 1937. En 1989, l’AVH introduit en France l’audiodescription des films. Elle ouvre en 1999 son premier club informatique, adopte en 2004 le système DAISY, spécialement conçu pour faciliter la lecture des personnes déficientes visuelles, puis inaugure en 2008 le centre d’évaluation et de recherche sur les technologies pour déficients visuels. En 2013, elle lance Éole, bibliothèque numérique en ligne. Pour être au plus près des déficients visuels, l’AVH a progressivement mis en place un réseau de comités, partout en France. Leur première mission est d’accueillir, d’écouter, d’informer et de conseiller les personnes qui perdent la vue mais aussi de les représenter dans les instances officielles. À ce jour, l’AVH dispose de 120 comités régionaux ou locaux.
Quelles sont les priorités auxquelles vous devez faire face aujourd’hui ?
Le chemin parcouru en 130 ans d’existence est immense. Nous sommes l’un des rares acteurs en France à proposer une aussi large palette de services allant de l’hébergement à l’insertion professionnelle pour les personnes déficientes visuelles. Il reste néanmoins encore beaucoup à accomplir. L’accessibilité des lieux publics est encore très insuffisante, moins de 10 % des sites internet sont accessibles, seulement un tiers des personnes déficientes visuelles en France accèdent au marché de l’emploi. C’est pourquoi nous devons développer nos actions en faveur de l’accessibilité physique, culturelle, numérique et diversifier l’offre de formation, de production et d’accueil de nos différents établissements.
Afin d’accompagner les personnes déficientes visuelles impactées par la désertification des campagnes, nous voulons également renforcer l’impact des comités locaux tout en affirmant notre présence dans chacun des départements de la région parisienne.
Quelle vision avez-vous de vos missions pour les prochaines décennies ?
Nos missions fondamentales ne vont guère changer ; c’est notre capacité à accompagner un plus grand nombre de bénéficiaires au plus près de leurs besoins qui doit évoluer. Nous allons devoir relever le défi du numérique et des nouvelles technologies pour répondre aux besoins futurs des personnes déficientes visuelles. Le nombre de personnes aveugles et malvoyantes devrait être multiplié par trois en 2050 dans le monde, notamment chez les seniors. C’est pourquoi nous souhaitons développer et diversifier notre offre dans l’accompagnement médico-social des personnes déficientes visuelles avec handicap associé et des personnes âgées dépendantes.
Enfin, il faut que l’association Valentin Haüy s’impose comme un acteur majeur dans la défense des droits des personnes déficientes visuelles et dans la lutte contre les préjugés liés à ce handicap.
Des établissements de travail et d’hébergement adaptés aux besoins
Depuis sa création, l’association veut aider à une meilleure intégration sociale des personnes déficientes visuelles, notamment à travers des solutions d’hébergement adaptées selon les âges et les besoins.
L’association étend son offre d’hébergement à tous les âges. La résidence Autonomie de Paris accueille ainsi des seniors déficients visuels au sein d’un espace de vie sociale partagé avec un foyer d’étudiants et de jeunes travailleurs malvoyants. Chaque résident est pleinement autonome dans son quotidien, l’équipe pluridisciplinaire sur place mettant tout en oeuvre pour maintenir cette autonomie. Une douzaine de bénévoles se relaie pour accompagner en permanence ceux qui le souhaitent dans leurs déplacements.
« Ici, je peux continuer à faire mes propres activités tout en bénéficiant de certains services et de l’aide précieuse du personnel, à l’image des conseils de l’ergothérapeute qui m’a présenté différents types de matériels spécialisés, et de l’assistante sociale, qui m’a aidé à remplir des dossiers administratifs ! »
Jelly, 80 ans, malvoyante, résidente depuis 2017
L’accès à l’écrit comme vocation première
Alors que le cap des 1,3 million personnes aveugles et malvoyantes empêchées de lire du « texte en noir » est sur le point d’être franchi, l’AVH s’attache plus que jamais à promouvoir l’accès à l’écrit.
Avec plus de 50 000 ouvrages, la médiathèque Valentin Haüy qui fête ses 10 ans est LA bibliothèque de référence pour l’accès à l’écrit des personnes
déficientes visuelles en France. Emblématique des missions menées par l’association, son fonds dispose de quelque 20 000 livres en braille et de plus de 30 000 titres audio, sans oublier des films audiodécrits.
Comme le souligne Laurette Uzan, Responsable de la médiathèque, « notre rôle d’accompagnement revêt une importance particulière pour les personnes qui sont confrontées à la malvoyance en vieillissant. ». Romans, livres policiers, biographies, livres de cuisine, documentaires historiques, classiques, etc. sont ainsi mis à la disposition des publics empêchés de lire en raison d’une déficience visuelle, d’un handicap mental ou d’un handicap moteur.
Ses références sont téléchargeables gratuitement sur sa plateforme en ligne ÉOLE. Ce service est également disponible partout en France par envoi postal de CD, via un comité local ou parmi les 113 bibliothèques publiques membres du réseau de l’AVH développé avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication.
Bon à savoir : l’inscription à la médiathèque Valentin Haüy est gratuite, sous réserve de présentation d’un certificat médical ou d’une carte d’invalidité. Les prêts peuvent être faits sur place, par téléphone ou internet.
L’accessibilité numérique, clé de l’insertion
« L’accessibilité au web et à l’ensemble des informations et des services disponibles en ligne s’avère indispensable pour l’inclusion des personnes en situation de handicap empêchées de lire. » Responsable Accessibilité numérique de l’AVH et expert du Centre d’évaluation et de recherche sur les technologies pour les personnes aveugles et malvoyantes (Certam) créé par l’association en 2008, Manuel Pereira effectue « une mission de veille et d’évaluation. Elle passe par la sensibilisation des entreprises comme des administrations, ainsi que de tous les acteurs économiques concernés. »
L’art au bout des doigts
L’AVH entend ouvrir les portes des musées aux déficients visuels. Vice-président de l’association et responsable du Pôle central Accessibilité, Pierre Ciolfi a notamment pour ambition de « permettre aux aveugles et aux malvoyants de ressentir les œuvres d’art autrement ». Le procédé novateur consiste à modéliser et mettre en relief des œuvres grâce à la technologie des imprimantes 3D. Un travail délicat qui demande des centaines d’heures de travail. « À titre d’exemple, un seul bas-relief de Bayeux* m’a demandé 120 heures de modélisation et 50 heures de fraisage à la machine. » explique Rémy Closset, Administrateur de l’association Valentin Haüy et instigateur du projet. Démarré il y a une dizaine d’années, le projet a déjà été déployé dans une douzaine de musées en France, comme au musée de la Tapisserie de Bayeux, au musée de Grenoble ou au musée des Beaux-Arts de Lyon.
Afin de célébrer culturellement les 130 ans l’association participera à deux grands événements : le Comité Valentin Haüy de Tours va s’associer au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance pour organiser une exposition tactile autour de l’oeuvre de Léonard de Vinci disparu il y a 500 ans. Par ailleurs, les 14 musées de la Ville de Paris vont « Effleurer l’art » fin 2019, au travers d’une vingtaine de leurs œuvres présentées en 3D.
*Grâce au partenariat avec les équipes de Bayeux Museum, trois scènes emblématiques de cette tapisserie médiévale inscrite au registre « Mémoire du Monde » de l’UNESCO ont été mises en relief. Elles ont été dévoilées pour la première fois aux personnes déficientes visuelles en septembre 2017.
Cet article a été publié par la Rédaction le