Les réseaux sociaux ne cessent d’inventer de nouveaux termes pour décrire des réalités souvent partagées. L’un des derniers en date, qui fait particulièrement écho auprès des jeunes parents, est le phénomène de la « gramnesia ». Cette expression, contraction des mots « grand-parent » et « amnésie », désigne l’oubli apparent qu’ont certains grands-parents de ce qu’implique réellement l’éducation d’un jeune enfant.
Gramnesia : L’origine d’un terme qui fait écho
Si l’inventeur de ce mot n’est pas clairement identifié, le concept circule depuis plusieurs années sur les forums en ligne. C’est en juin 2024 que la thérapeute et mère de famille américaine Allie McQuaid, connue sous le pseudo @millennialmomtherapist sur Instagram, a popularisé le terme avec une vidéo devenue virale. Dans cette publication, elle s’étonne de la façon dont certains grands-parents semblent avoir oublié la réalité de l’éducation des enfants.
Sa vidéo a généré plus de 4,4 millions de vues et des milliers de commentaires de parents partageant leurs propres expériences de « gramnesia« . De nombreuses anecdotes décrivent des grands-parents persuadés que leurs enfants dormaient toute la nuit dès leur retour de la maternité, qu’ils mangeaient de tout sans rechigner ou encore qu’ils étaient propres dès l’âge d’un an. Comme si les nouveaux parents en faisaient « tout un plat » de ce qu’est réellement la parentalité.
Selon un sondage Ifop de 2021, 19 % des Français considèrent que depuis la naissance de leur enfant, les relations avec leurs parents sont devenues compliquées. Pour 17 %, elles se sont tendues, et un autre 17 % les qualifient de « distantes« .
Pourquoi la « Gramnesia » existe-t-elle ?
Selon McQuaid, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène :
- Une mémoire sélective
Avec le temps, nos souvenirs deviennent plus flous, et notre cerveau tend à embellir le passé. Ce phénomène, appelé « euphoric recall », nous pousse à nous souvenir des expériences difficiles sous un jour plus positif. Ainsi, certains grands-parents ne se rappellent plus vraiment des nuits blanches, des crises de colère ou des refus alimentaires de leurs propres enfants. - L’évolution des pratiques éducatives
Ce qui était recommandé il y a 30 ou 40 ans ne l’est plus forcément aujourd’hui. Les nouvelles découvertes en pédiatrie et psychologie infantile ont transformé la manière dont on élève les enfants. Certains conseils d’autrefois, comme donner du riz dans le biberon pour favoriser le sommeil ou laisser pleurer un bébé pour qu’il s’habitue, sont aujourd’hui déconseillés. - Un manque d’expression des émotions dans les générations précédentes
Contrairement aux jeunes parents actuels qui ont plus de liberté pour parler de leurs difficultés, les générations précédentes avaient tendance à cacher leurs souffrances parentales. L’éducation était souvent perçue comme un devoir à accomplir sans se plaindre, ce qui explique pourquoi certains grands-parents pensent que tout était plus facile pour eux à l’époque.
Un phénomène qui frustre les jeunes parents
Les remarques issues de la « gramnesia » peuvent être agaçantes pour les parents d’aujourd’hui, qui se sentent invalidés dans leurs difficultés. Lorsqu’un grand-parent déclare : « Tu n’as jamais fait de crises comme ça« , « tu mangeais de tout sans rechigner » ou « Je t’ai appris à être propre en un week-end », cela peut donner l’impression que les jeunes parents ne font pas bien leur travail.
Cependant, il faut prendre du recul face à ces remarques. Il est parfois plus simple d’ignorer certains commentaires plutôt que d’entrer dans un débat stérile. Mais si la frustration devient trop forte, il est possible d’exprimer calmement ses sentiments en reformulant les critiques reçues sous un angle personnel :
Plutôt que de répondre « C’est faux, j’ai fait plein de crises aussi ! », on peut dire « Quand tu dis ça, j’ai l’impression de ne pas être à la hauteur et ça me met mal à l’aise. »
Une réalité partagée par de nombreux parents
Les réactions à la vidéo virale montrent que la « gramnesia » est un phénomène mondial. Beaucoup de jeunes parents racontent comment leurs propres parents se montrent incapables de supporter quelques heures avec leurs petits-enfants, alors qu’ils insistent pour dire qu’ils n’avaient jamais rencontré de difficultés avec leurs propres enfants.
D’autres évoquent le décalage entre les attentes des grands-parents et leur implication réelle. Aujourd’hui, certaines personnes âgées aimeraient avoir une relation privilégiée avec leurs petits-enfants, mais sans pour autant assumer les responsabilités qui y sont liées, ce qui crée des tensions avec les parents.
Une remise en question de la transmission intergénérationnelle
Si la « gramnesia » est une source de frustration, elle met aussi en lumière les différences générationnelles dans la parentalité. Les pratiques éducatives ont changé, les mentalités évoluent, et la manière dont les familles interagissent avec les enfants n’est plus la même. Être grands-parents pour la première fois est aussi une chose compliquée à appréhender pour eux. Ils doivent apprendre leur nouveau rôle, sans empiéter sur celui des nouveaux parents.
Accepter que les grands-parents aient une vision idéalisée de leur propre expérience peut permettre de mieux gérer ces conversations. Après tout, ils veulent souvent bien faire et cherchent seulement à transmettre leur vécu. Trouver un équilibre entre gratitude et affirmation de son propre rôle parental est essentiel pour maintenir des relations harmonieuses au sein de la famille.
Cet article a été publié par la Rédaction le