Comment les seniors européens vivent-ils leur âge ? La vie est-elle pour eux source de plaisir ? Quel est leur rapport à l’avenir ? Quels sont aujourd’hui leurs motifs d’épanouissement ? Quelle est la place d’internet et des réseaux sociaux, des proches et des amis ou encore de l’amour et de la sexualité dans les plaisirs de leur vie ? Comment se sentent-ils perçus par l’ensemble de la société ? Se sentent-ils utiles ? Et surtout, jusqu’où se sentent-ils libres de faire ce qu’ils souhaitent ?
Autant de questions auxquelles le Baromètre de la Fondation Korian a souhaité apporter des réponses cette année, à travers une enquête sur plus de 8.000 personnes dans 4 pays de l’Union Européenne. Les résultats dressent le portrait de seniors qui s’interrogent de plus en plus sur la place que leur offre la société. Il montre aussi une très grande hétérogénéité de la vie des seniors dans les différents pays de l’Union Européenne dans lesquels l’enquête a été réalisée.
Les seniors ne se sentent âgés à partir de 79 ans, bien au-delà des catégories traditionnelles des politiques publiques
En moyenne, pour les seniors européens de plus de 65 ans, on n’est une « personne âgée » à partir de 79 ans, alors que pour les moins de 65 ans, la « frontière » se situe à 70 ans…
Si la grande majorité d’entre eux (67%) se déclare globalement en forme tant physiquement que psychologiquement, cette perception commence à décliner à partir de 80 ans et plus (58%). Cet épanouissement est même à son apogée entre 65 et 69 ans (70%), ce qui confirme que les seniors européens estiment pour la plupart arriver à se maintenir à un bon niveau de forme jusqu’à un âge avancé, qui correspond quasiment à l’espérance de vie moyenne actuelle (entre 81 et 83 ans en fonction des pays). Leur grande majorité déclare prendre la vie comme elle vient, sans vraiment penser à demain (67%), aimer toujours autant s’amuser (68%), aimer la nouveauté (67%) et ont souvent le sentiment d’être plus jeune que leur âge (59% au global et 54% des 80 ans et plus). Beaucoup ressentent toujours des sentiments amoureux (44% pour l’ensemble et 36% des 80 ans et plus), se sentent encore physiquement attirés par certaines personnes (43% au global et 34% des 80 ans et plus – soit 1/3 d’entre eux) et ont régulièrement des relations sexuelles (36% et 20% des 80 ans et plus – soit 1 sur 5). Les impacts du vieillissement ne sont pas ressentis avant l’âge de 80 ans, alors même que, selon les indicateurs de santé publique, l’espérance de vie en bonne santé, ne progresse plus. Ce constat invite les autorités publiques et les professionnels de santé à affiner les catégories utilisées pour construire les politiques de prise en charge du grand âge.
Le rôle social et l’utilité des seniors en question : un écart substantiel entre les aspirations des principaux intéressés et la perception des plus jeunes
Contrairement aux idées reçues, les seniors ont plus confiance dans leur utilité que leurs cadets : le sentiment d’utilité des aînés est au plus haut entre 65 et 74 ans (85 % se sentent utiles contre 76% des moins de 65 ans). Le baromètre met en exergue une perception différente de l’utilité entre les seniors et les plus jeunes. Si l’ensemble de la population s’accorde sur le fait que pour se sentir utile, il faut avant tout continuer à gérer son quotidien sans avoir à demander de l’aide, pour les seniors, se sentir utile, c’est plus globalement pouvoir gérer ses papiers administratifs et ses tâches ménagères en toute indépendance. L’assistance apportée aux autres ne vient que bien plus loin dans leur hiérarchie de l’utilité. Les plus jeunes, en revanche, estiment qu’un senior se sent utile en rendant service à ses cadets, par la transmission de ses savoirs, en leur donnant des conseils ou encore en leur rendant service. Les plus jeunes surestiment donc le fait que leurs aînés se sentent utiles grâce à eux. Pour les seniors, la première utilité c’est que l’on respecte leur autonomie et que la société ne cherche pas à les infantiliser.
Alors que les seniors souhaitent continuer à jouer un rôle actif dans la société et se sentent des citoyens à part entière pour 90% d’entre eux, il semble bien qu’une partie non négligeable des Européens de moins de 65 ans soit prête, « en réaction », à limiter leur statut de citoyen. C’est particulièrement vrai en France et en Italie. Près d’un Européen de moins de 65 ans sur deux est favorable à ce qu’on les oblige à s’arrêter de travailler une fois l’âge de la retraite atteint (49% au global mais 67% en Italie et 53% en France) et à ce qu’on les empêche d’exercer des responsabilités en politique ou en entreprise (46% au global mais 56% en Italie et 49% en France). Près d’un Européen sur cinq souhaiterait même limiter leur droit de vote, notamment sur des sujets concernant l’avenir des jeunes générations (19%), comme cela avait été demandé par certains au moment du référendum sur le Brexit. Plus surprenant, une partie non négligeable des + de 65 ans soutient aussi ces positions et se déclare favorable à une forme de « lâcher prise » au-delà d’un certain âge : 46% des seniors souhaitent qu’on empêche les personnes âgées d’avoir de hautes responsabilités et 44% sont favorables à ce qu’on les oblige à arrêter de travailler lorsqu’elles atteignent l’âge de la retraite.
Le sentiment de « bien vivre » des personnes âgées reste globalement élevé, avec l’apparition de différences sensibles entre hommes et femmes
Le sentiment de bien vivre son âge reste très élevé mais s’érode depuis maintenant quatre ans, passant de 87% en 2014 à 76% en 2016 pour atteindre 74% en 2018, soit une baisse de 13 points. Le sentiment que la vie est une source de plaisir diminue aussi : il est passé de 84% en 2014 à 78% en 2016 pour atteindre 75% cette année (-9 points). L’un des points marquant de ce Baromètre est que cette érosion du moral des seniors touche plus particulièrement les femmes : elles perçoivent en moyenne des retraites plus faibles et sont plus souvent confrontées à la solitude (veuvage). Les hommes semblent mieux vivre leur âge (80% contre 71% pour les femmes). Par ailleurs, le sentiment que la vie est une source de plaisir reste très stable dans toutes les tranches d’âge chez les hommes (83% chez les 65-69 ans et 80% chez les plus de 80 ans). Quant aux femmes, elles ne sont que 75% parmi les 65-69 ans à déclarer que la vie est une source de plaisir, soit un écart de 7 points par rapport aux hommes du même âge, et seulement 57% parmi les plus de 80 ans, soit un écart de -23 points par rapport aux hommes du même âge. L’inégalité hommes/femmes dans la capacité à bien vivre son âge est perceptible dès la retraite mais elle s’aggrave de façon extrêmement forte, au fur et à mesure que les hommes et les femmes avancent en âge. Cette situation doit être mieux appréhendée par les aidants professionnels et familiaux, de façon à éviter des phénomènes de rupture qui accélèrent souvent la perte d’autonomie. Par ailleurs, à la veille de réformes importantes, notamment en France, qui vont toucher à la prise en charge de la perte d’autonomie, ces inégalités méritent d’être prises en compte pour définir les réponses pertinentes à apporter.
Le digital : un outil essentiel pour se sentir utile et qui favorise l’autonomie et le bien être des seniors
Internet est devenu un outil qui participe fortement à la construction du sentiment d’utilité des seniors. Lorsqu’on leur demande de « noter » de 0 à 10 le sentiment d’utilité que leur procure internet, ils lui donnent 6,9/10. Il est plus fort que le fait de s’impliquer dans la vie du quartier (4,9/10), de faire du bénévolat dans une association (5,2/10), de faire un don à une association (4,7/10) ou encore d’aider financièrement ses proches (6/10). Ils l’utilisent fréquemment pour gérer leurs finances (70% au moins une fois par mois – 47% une fois par semaine). Ils utilisent beaucoup les mails pour communiquer (66% au moins une fois par semaine) mais la moitié utilise aussi les réseaux sociaux (50% au moins une fois par mois). Presqu’une personne âgée sur deux déclare qu’il lui arrive d’utiliser Skype pour discuter avec ses proches, même de façon très irrégulière (seulement 28% le font au moins une fois par mois). Enfin, même s’ils le font beaucoup moins, une petite part des plus de 65 ans va sur des sites de rencontre (12%). C’est aussi un outil de consommation de culture et d’information : 44% l’utilisent au moins une fois par mois pour écouter de la musique ou regarder des films. Ils vont aussi de plus en plus sur des sites pour s’informer sur leur santé (40% au moins une fois par mois). Ce phénomène témoigne de la prise en main par les seniors de ce qui touche à leur santé : ils s’informent désormais, grâce à Internet, sur les problèmes qu’ils rencontrent, les soins possibles ou encore sur les témoignages d’autres patients.
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Des représentations de soi et du rapport à la société contrasté selon les différents pays européens
- En France : montée d’un sentiment de dépréciation.
La France connaît une baisse de moral marquée, le sentiment de bien vivre son âge atteignant son plus bas niveau historique (69% ; – 7 points depuis 2016). Cette tendance est sans doute la conséquence des différentes mesures intervenues au cours des 12 derniers mois. D’ailleurs, le fait que les seniors français soient ceux qui déclarent aujourd’hui le plus « participer à des manifestations et signer des pétitions » n’est probablement pas anodin (38% disent le faire souvent ou parfois contre 31% des seniors européens). Par ailleurs, le sentiment d’intégration des seniors français recule, passant de 94% à 84%. Ils sont une très forte majorité à considérer que la société dans son ensemble et notamment les pouvoirs publics les tiennent pour quantité négligeable (respectivement 78% et 91%). Toutefois, même si les seniors français expriment une joie de vivre moins forte que leurs voisins belges et allemands, ils expriment très majoritairement le sentiment d’être épanouis physiquement et psychologiquement (63% contre 67% au global), déclarent aimer toujours autant s’amuser (63% contre 68% au global) et prendre la vie comme elle vient sans penser à demain (69% contre 67% au global).
- En Italie : le pessimisme persiste.
Chez les seniors italiens, le sentiment de bien vivre son âge remonte légèrement par rapport à l’enquête précédente (73% en 2018 contre 71% en 2016), mais reste en retrait par rapport aux autres pays. Pour autant, seule une minorité d’entre eux se déclare épanouie physiquement et psychiquement (44%), déclare toujours aimer autant s’amuser (40%) et a confiance dans l’avenir (40%). Ils ne sont que 61% à déclarer prendre la vie comme elle vient en évitant de penser à demain. Comme lors des éditions précédentes du baromètre, cet état d’esprit renvoie sans doute aux caractéristiques de la société italienne (des relations extra-familiales moins développées que dans les autres pays et un sentiment d’isolement plus fort).
- En Allemagne, l’optimisme reste globalement assez élevé, malgré un pouvoir d’achat sous contrainte.
Les Allemands sont ceux qui déclarent le moins arriver à mettre de l’argent de côté (seulement 41% contre 47% au global). Près d’une personne âgée sur deux déclare que ses revenus lui permettent juste de boucler son budget (47% contre 40% au global). Cette tendance est aujourd’hui perçue comme particulièrement inquiétante. En dépit de la santé florissante de l’économie allemande, plus de 900 000 retraités dans le pays sont actuellement obligés de travailler pour compléter leur pension. Pour autant, les personnes âgées allemandes déclarent très majoritairement bien vivre leur âge (75%), mieux que les Italiens et les Français. Leur bien-être se construit d’abord et avant tout sur leur optimisme face à l’avenir (66%, au plus haut niveau). Toutefois, à la différence des autres seniors européens, cette confiance se fonde moins qu’ailleurs sur de l’insouciance. Ils déclarent un peu moins que la moyenne prendre la vie comme elle vient (64%) et un peu plus que la moyenne essayer d’anticiper pour leurs vieux jours (74%). Etre un peu plus fourmi et un peu moins cigale, ce serait apparemment le secret des seniors allemands. Reste qu’ils sont ceux qui déclarent aujourd’hui le plus aimer toujours autant s’amuser (88%).
- Les seniors belges affichent l’état d’esprit le plus positif.
Le plat pays est aujourd’hui l’endroit où les personnes âgées déclarent le plus souvent bien vivre leur âge (81% contre 74% au global). Surtout, alors même que depuis 2014 le sentiment de bien-être des seniors européens a tendance à s’éroder, la Belgique reste l’endroit où il reste le plus élevé. Et là encore, ce n’est pas leur pouvoir d’achat qui explique le plus leur optimisme et leur bien-être puisque moins d’un senior sur deux déclare aujourd’hui arriver à mettre de l’argent de côté (47%). Cela ne les empêche pas de déclarer massivement se sentir le plus souvent épanouis dans leur tête et dans leur corps (77%). Les seniors belges sont ceux qui déclarent le plus à la fois prendre la vie comme elle vient sans penser à demain (74%) et essayer malgré tout d’anticiper leurs vieux jours (83%). Peu enclins à la nostalgie, ils affirment aussi plus que les autres aimer la nouveauté (71%). Si les personnes âgées allemandes et belges ont toujours été celles qui disent le mieux vivre leur âge (respectivement 75% et 81% en 2018), ce sentiment a aussi connu une érosion, forte chez les Allemands (-14 points depuis 2014) et plus modérée chez les Belges (-3 points).
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« Ces résultats traduisent avant tout l’état d’esprit et les aspirations des seniors d’aujourd’hui : ils souhaitent continuer à être acteurs de leur vie. Pour eux, le moteur de l’utilité c’est avant tout l’indépendance et l’ouverture au monde grâce aux nouvelles technologies. Cette aspiration, éminemment légitime, doit guider l’évolution des politiques publiques et les offres d’accompagnement. Par ailleurs, nous devons aussi être attentifs aux inégalités qui se creusent, notamment pour les plus fragiles, comme les femmes de plus de 80 ans, les personnes seules ou bien malades. D’où l’importance pour la Fondation de continuer à sensibiliser l’opinion sur la cause des aînés, à promouvoir et soutenir des actions en faveur d’une société plus inclusive et à lutter contre les préjugés entre les générations », conclut Sophie Boissard, présidente de la Fondation Korian pour le Bien-Vieillir.
Cet article a été publié par la Rédaction le